Tony Allen au New Morning, Paris, le 3 novembre 2016
2016
Lucas Biela
Tony Allen au New Morning, Paris, le 3 novembre 2016
En route pour le concert de Tony Allen au New Morning, la musique de Channel Zero illumine mon trajet, là où la mémoire de Philippe Vallin assombrit mes pensées. D’ailleurs, comme pour prolonger la peine, c’est du blues qui est programmé en marge du concert. Sur la scène, une batterie aux contours reluisants est prise en sandwich entre un piano et une contrebasse aux contours plus difficiles à cerner, tellement ils se fondent dans le décor. Car oui, Tony Allen est un batteur, et il n’est donc pas étonnant que son instrument occupe le devant de la scène. Ayant été le fidèle compagnon de Fela Kuti, autant dire que ses torrents de rythmes enivrants ne sont pas nés de la dernière pluie.
À l’intérieur du New Morning, c’est l’effervescence autour… du bar. Quand le père de l’afrobeat se présente, c’est un look disco qu’il arbore. Casquette à paillettes, gilet aux motifs platine, chemise à fleurs et lunettes noires, notre batteur est décidé à mettre le feu autant que la musique associée à son apparence pouvait enflammer les pistes de danse à l’aune des années 80. Maître du rythme, son jeu est tel un nuage qui n’arrête pas de changer de forme au gré du temps. Dans ce jeu, on retrouve cette fameuse music for intelligent feet, si chère à Bill Bruford. On pourrait comparer cette musique au mouvement perpétuel de Maurits Cornelis Escher, mais dans lequel l’eau emprunte un cours différent à chaque nouveau retour au point de départ. Se bousculent aussi dans notre esprit des images de boxeur évitant les coups tout en en assénant de manière imprévisible.
C’est dans une formule en quatuor que le messager de l’afrobeat a souhaité rendre hommage aux messagers du hard bop, menés de front par Art Blakey. Comme il l’annonce lui-même, il veut le faire à sa manière. On comprend ce qu’il veut dire quand on entend ses versions empreintes d’afrobeat du standard de ses idoles. Dans son hommage, ce sont trois jeunes Français talentueux qui l’accompagnent. Le groove de Tony est par ailleurs si infectieux qu’il parvient à faire vibrer aussi bien le public que ses compagnons de jeu. C’est ainsi que le saxophoniste se tortille dans tous les sens en voguant entre la retenue de John Coltrane dans ses débuts et l’excentricité de Pharoah Sanders. Dans son jeu en cascade et en saccade, le pianiste, quant à lui, dodeline de la tête, tout en demandant au public de faire le plus de bruit possible. Le contrebassiste se balance de droite à gauche en déplaçant frénétiquement ses doigts sur les cordes de son instrument.
À propos de notre vedette de la soirée justement, il est impossible de ne pas être impressionné par la vitalité que le magicien de Lagos présente du haut de ses 76 ans. Et quand l’heure est venue de s’exprimer, il révèle ne pas être un grand bavard, préférant le silence au verbiage (moi et lui nous rejoignons sur ce point), mais tient à remercier vivement le public. Avec sa pluie de remerciements, c’est tout autant son cœur que son jeu qu’il nous a offert lors de cette belle soirée.