Theologian – The Chasms Of My Heart
Theologian
Crucial Blast
Leech est quelqu’un que j’apprécie, allez savoir pourquoi. Son univers est unique, ses fantasmes aussi charnels que compulsifs. Sa démarche ? Aussi noire que le sexe d’une femme. Un personnage fascinant attisant autant la crainte, voire la frayeur, que le respect. J’ai de la ferveur pour cet artiste ambivalent, de l’admiration pour ses thématiques freudiennes teintées ésotérisme emplies d’une sexualité morbide (renvoyant « Silent Hill » à une comptine pour gosses chouchoutés) et, surtout, pour son emprise sur les sonorités industrielles. De Navicon Torture Technologies, soit le parangon d’une noise maîtrisée et déliquescente, à Theologian, l’Américain est rentré dans une démarche plus intimiste, autarcique même, laissant encore moins d’attaches qu’il entrouvre d’infinies possibilités de perceptions. « The Chasms Of My Heart » découle d’un long travail d’élaboration qu’on ne peut suivre qu’au travers ses nombreuses parutions tirées à (très) peu d’exemplaires.
Sortie de la brutalité sonore de NTT, Theologian préfère une lente descente dans les abîmes et la perversion. Les samples sont abonnés absents, seuls compte la crudité des drones et des textures. Ces drones, parlons-en, gagnent en habileté, en profondeur. Un délitement, un équarrissage allant à l’essentiel, un stade moléculaire de l’humanité pourrissante, une façade dont les rideaux se lèvent, laissant un panorama des plus lugubre. Theologian ne triche pas. Ses vapeurs sont hypnotiques, le temps est son allié. Ce qui aurait pu passer pour redondant devient vite une attraction dont on s’empresse de monter le son pour être sûr de ne pas en louper une poussière. L’audace est formelle, non dans la structure, mais dans les tonalités. Plus on écoute et plus on pousse le volume dans ses derniers retranchements, comme si on osait s’insérer dans le suintement vaginal, petits pas par petits pas, conscient d’entrer dans une zone interdite mais sans pouvoir refréner ses instincts.
« The Chasms Of My Heart » est vicieux. Dans sa logique, il travaille de manière inconsciente, renvoie à la crudité la plus pathologique de l’humanité, ses penchants pour l’extrême sans en être l’image excessive. Son atmosphère métaphorique ne laisse aucune échappatoire si ce n’est qu’obscurités indistinctes dans une chambre cloisonnée. Armé d’une camisole et d’un immobilisme forcé, et par là voulu, la pauvre âme qui va se perdre dans les couloirs de cet album hallucinatoire aux relents Dario Argento acres se laissera porter dans les vertiges qu’elle seule pourra contenir.
« The Chasms Of My Heart » s’adresse au cœur, son versant putride. Il ne rend pas mauvais, mais nous confronte à une nudité psychologique et tactile. En cela, l’album est effrayant (on y retourne sans arrêt) mais sa contamination n’a d’égale que sa maîtrise technique (amateurs d’analogiques, c’est un bonheur !). Theologian persiste et signe. C’est une gangrène qu’on aime voir évoluer.
Jérémy Urbain (8/10)