The Pentangle – Basket Of Light
Transatlantic Records
1969
Thierry Folcher
The Pentangle – Basket Of Light

C’était mieux avant ! Ah, cette fameuse affirmation sujette à bien des débats tout aussi enflammés qu’inutiles. Mais au fait, c’était vraiment mieux avant ? Bien sûr que non, c’était différent, voilà tout. En revanche, d’un point de vue générationnel, certaines musiques parlent davantage à notre vécu et répondent plus facilement à nos attentes. Une constatation récurrente qui se manifeste chaque fois que je retourne faire un petit tour dans mes années de prime jeunesse. Des voyages nécessaires vers lesquels mon esprit se remet sans peine au diapason des sons et des façons de faire de l’époque. Lors de l’un de ces périples, j’ai réouvert le catalogue Pentangle et aussitôt, les parfums d’un glorieux passé m’ont assailli et ont illuminé ma journée. Une musique magnifique, des chansons parfaitement ciselées et un univers difficilement classable (on y reviendra un peu plus loin). Pas facile de faire un choix dans leur généreuse discographie, mais je crois que Basket Of Light, sorti en octobre 69, est le mieux placé pour vous faire découvrir (à moins que ce ne soit déjà fait) la qualité des compositions et la justesse de l’interprétation. À ce jour, il reste leur plus grand succès et le passeport qui leur a permis de s’installer aux côtés des meilleurs de la scène folk anglaise. Un disque qui correspond en tous points au monde hyper créatif du début des années 70, mais qui, hélas, ne devrait pas évoquer grand-chose auprès de la jeunesse actuelle. Alors, à chacun son business et ne cherchons pas à accomplir d’irréalisables et inutiles conversions.
Le nom « Pentangle » (ou The Pentangle comme ici) vient d’une figure étoilée à cinq pointes correspondant aux cinq membres du groupe. Mais il évoque aussi le mythe de la légende arthurienne chère au guitariste-chanteur John Renbourn. C’est de sa rencontre avec l’autre guitariste Bert Jansch (hélas disparu en 2011) que Pentangle est né. Après un premier album en duo (Bert And John en 1966), ils recrutent la chanteuse londonienne Jacqui McShee qui partage son répertoire solo entre folk, blues et jazz. Et si l’on rajoute à ce trio une rythmique typiquement jazz composée de Danny Thompson à la contrebasse et de Terry Cox à la batterie, vous conviendrez que l’étiquette folk est un peu réductrice pour qualifier la musique de Pentangle. D’où la difficulté de les limiter à un seul style et de les associer à des formations comme Fairport Convention ou Steeleye Span. Et c’est cette particularité qui rend Pentangle aussi intéressant. Son folk, car cela reste du folk malgré tout, dérive souvent vers des tournures jazz, blues ou psychédéliques qui en font un genre hybride particulièrement attrayant. Leur premier album éponyme sorti en mai 1968 recevra un joli accueil et apposera d’emblée une évidente empreinte jazz-folk. Les baguettes légères de Terry Cox sur « Let No Man Steal Your Thyme » ou les gammes de basse de Danny Thompson sur le bluesy « Hear My Call » sont deux exemples parmi beaucoup d’autres de l’orientation musicale voulue par le groupe. Le deuxième album (moitié live, moitié studio) sorti la même année (novembre 1968) confirmera le potentiel de cinq musiciens déjà bien rodés et en bonne voie pour passer à la vitesse supérieure.

Ce pas en avant se fera grâce à Basket Of Light, un troisième effort qui respire la maturité, l’assurance et la certitude du bon chemin emprunté. La production est inventive et les quelques tâtonnements des débuts sont désormais oubliés. Dès les premiers instants de « Light Flight », le rythme hésite entre bossa, jazz et folk, puis la contrebasse met tout le monde d’accord dans un enthousiasme qui permet au chant de Jacqui McShee de sautiller, de se dédoubler et de remporter la palme de l’émotion. Superbe entame avec ce titre qui a eu la chance et l’opportunité de servir de thème pour une série TV de la BBC. Ce « vol léger » nous amène à présent vers la tradition britannique pour nous conter les déboires amoureux de « Once I Had A Sweetheart », une jolie ritournelle qui se distingue par la mise en orbite du sitar de John Redbourne. Les sonorités exotiques de cet instrument apposent d’emblée la couleur d’une époque très ouverte au mysticisme. Mais ce qui me plaît le plus, c’est ce balancement typique de la musique psychédélique que l’on retrouve tout au long du morceau. Un rythme lancinant que l’on reverra sur l’excellent « Hunting Song », pièce maîtresse du disque qui se drape de l’imagerie moyenâgeuse chère à Bert Jansch. Ce dernier partageant le chant avec Jacqui McShee dans une joute très crédible d’un seigneur et d’une dame en pleine confrontation. On le voit, le décor ne déborde pas du Royaume-Uni, mais la musique et le chant voyagent beaucoup plus loin. En écoutant Basket Of Light, c’est Grace Slick qu’on entrevoit, parfois c’est Joan Baez, quelquefois la Motown pointe le bout de son nez et puis, sans crier gare, on revient au pastoralisme de Vashti Bunyan. La diversité des repères et des sensations est un indéniable atout qui place Pentangle et cet album dans une catégorie vraiment à part.
Les paysages se succèdent et le traditionnel « Lyke-Wake Dirge » ne choque pas du tout en succédant au « Springtime Promises » de Bert Jansch. Preuve que les époques pouvaient fusionner et que la jeunesse des années 60 et 70 savait s’inspirer de l’héritage du passé sans conflit ni caricature (à noter qu’en France, ce revival était lui aussi en marche grâce à des groupes comme Malicorne, La Bamboche ou Tri Yann). On revient à Basket Of Light avec un « Train Song », également très à l’aise dans son époque et dans une construction typique de ces années où la liberté d’expression n’avait pas de limite. Jacqui McShee vocalise plus qu’elle ne chante (on dirait même du scat), Bert Jansch se lance dans un jeu de guitare complètement débridé et une fois encore, la rythmique jazz met du mouvement et de l’entrain sur ce titre qui file à toute allure. Autre moment d’importance en compagnie de l’incontournable blues de « Sally Go Round The Roses », une reprise des New-Yorkaises de The Jaynetts permettant au duo vocal McShee/Renbourn de se distinguer à nouveau. Il reste les deux autres traditionnels « The Cuckoo » et « House Carpenter » pour achever un album magnifique, facilement assimilable à qui veut bien se donner la peine de sortir d’un environnement mainstream un peu trop prégnant. Le matraquage est devenu la norme, mais je crois à de possibles sursauts. Il n’y a qu’à faire un tour du côté de la jeune scène folk scandinave pour s’en rendre compte et se dire que de belles choses peuvent être encore créées.

1969, à la fois une éternité et un souffle léger dans l’univers. Cela dit, d’un point de vue musical, beaucoup de choses ont changé depuis. Aujourd’hui la technologie est envahissante et la création artistique use souvent d’artifices et de procédés malfaisants pour arriver à ses fins. Mais que faire ? On appelle ça le progrès. À l’époque de Basket Of Light, tout semblait sincère, propre et accessible. Dans une récente interview, Jacqui McShee nous apprend qu’elle était gênée d’être payée, c’est dire l’état d’esprit qui l’habitait à ce moment-là. Côté public, je ne surprendrai personne en disant que les habitudes musicales n’étaient pas du tout les mêmes. On passait du temps avec nos vinyles jusqu’à les user et parfois même les racheter. Difficile de comparer avec la consommation « Kleenex » actuelle. Par ailleurs, à chacune de mes plongées dans les archives de la musique populaire, je me pose toujours la question de savoir si ce que j’écoute pourrait être composé aujourd’hui ? Et si un disque comme Basket Of Light ferait se lever les sourcils des auditeurs/consommateurs de 2025 ? Je me dis que les gens n’ont pas forcément beaucoup changé et pour moi, qui me situe autant dans le présent que dans le passé, je suis persuadé que cela pourrait fonctionner et que le talent et la sincérité trouveront toujours des oreilles attentives à leur disposition.