Swans – The Seer
Swans
Young God Records
Quelque chose fixe l’horizon. Une bête feule et gronde. Ses yeux aussi sombres que du minerai noir. Sa forme est indécise. Son pelage rougeoie dans l’obscurité. Sa démarche, lente, laisse planer un malaise, une tension. J’ai beau l’apercevoir dans les reflets du feu, sa seule présence hante l’air ambiant et donne des sueurs. Est-ce moi que cet animal regarde ? Des voix accompagnent sa venue comme portées par le vent. Quelque chose fige l’air, la température est en suspend un bref instant avant de monter d’un cran. De brusques à-coups déchirent l’espace, élargissant la rétine. La créature montre ses crocs. Je crois la connaître, mais elle me montre autre chose, un caractère que je ne soupçonnais pas. Ses mouvements sont gracieux tout en étant troublés par des spasmes musculaires compulsifs. Sa poitrine gonfle à chaque respiration, à moins que ce ne soit la mienne. Elle m’imite, calant son souffle sur le mien.
Bordel ! C’est ça ! Je reste, légèrement en retrait, hypnotisé. Ce qui semble être le vent fait bouger et tordre les végétaux alentours. Le feu crépite de plus belle. Mais pourquoi je ne peux détacher mon regard de cette chose ? M’annonce-t-elle une visite ? Son pelage se hérisse parfois, la rendant sauvage, alors qu’un instant après, une tristesse infinie et étrange embue ses yeux granites. Irascible et fascinante. J’ai l’impression que des notes de guitares sèches aux accents folk arrivent à mes oreilles en écho. Quand la bête, face à moi, tape du pied, j’ai le sentiment que le sol va se fissurer, s’écarteler, tout engloutir. Tout parait si net dans l’obscurité, si ce n’est ce vent qui me force à bien me caler pour ne pas vaciller. J’entrevois un éclair, bref, puissant. Illumination succincte de l’endroit. La bête s’est rapprochée de moi, ses crocs paraissant plus acérés, ses pieds griffus martèlent la terre, les cailloux roulent, de la poussière monte de cette agitation, et ses yeux de fond de leurs orbites me fixent encore et toujours.
D’autres silhouettes apparaissent pour disparaître aussitôt. Voix féminines mélancoliques ou astrales se bousculent à mes oreilles. Des éclairs frappent le sol avec violence. La répercussion des coups ébranlent les montagnes. Mon équilibre est de plus en plus précaire tout comme ma vision des éléments. La bête, elle, ne réagit pas, si ce n’est qu’elle parait plus grande, plus terrifiante. La couleur de ses poils lui donne un aspect de boule de feu rampante. Quelques pas sont encore faits. Je pose les genoux à terre, essoufflé, tandis que le coup de la créature se tend vers moi. Pourquoi j’entends ces sons de cloches dans le lointain ? Tout parait si étrange, opaque… Et ces battements intempestifs contre mes tympans, ces grincements… Depuis combien de temps se passe cet emballage de scènes immatérielles ? Je me sens si pesant, incapable de remuer mais, dans mon halètement, si calme.
L’air se remet à tourbillonner furieusement, les branches battent une mesure sombre, sourde, répétitive. Le silence essaye de se faire une place. Il y arrive presque. Une dernière fois, j’entends un conglomérat de voix. Putain ! Mais je ne suis pas fou ! Je n’y crois pas de toute façon à ces délires. Maintenant je sens l’haleine de cette bête, ses yeux plongés dans les miens. Une odeur de crasse, pas si désagréable. Mes yeux se ferment. Résonne le dernier martèlement…
Jérémy Urbain (10/10)
http://swans.pair.com/
Avoir lu la chronique…avoir (p)ressenti l’émotion…avoir écouté le morceau…avoir enfin compris! Très prenante découverte! Merci!