Swans – My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky
Swans
Young God Records
Les Hommes ont leur démons. Légions dans un coin du crâne, batifolant dans le marasme existentiel. L’apathie ? On ne connaît que ça depuis notre naissance. Une forme d’éducation peut-être… Bien installée dans le quartier du malaise se trouve la rupture. Amoureuse, artistique, philosophique… Difficile de s’en détacher, elle accompagne les journées, les pensées, et ça ne le fait pas du tout. Les remords, la colère, la mélancolie ou encore la culpabilité sont ses denrées alimentaires. Vous savez, ce truc qu’on n’arrive pas cracher, du dégout, la frustration, ça va avec. « My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky », c’est un peu ça. On balance la nostalgie comme une pomme bien pourrie dans la poubelle, même si ça fait seize ans qu’elle trône dans le panier. La reformation des Swans n’attirait et ne sentait pas grand chose, angoisses pour certains, attente incontrôlable pour d’autres, ou simple attitude blasée du groupe-qui-se-reforme-pour-cachetonner (rayez les choix inconvenants).
Mais la bande de Michael Gira connaît la détresse, la solitude. Cette frustration, c’est son moteur, le vecteur de son obscurité et de sa lumière. Chercher à toucher le ciel, que j’y croie ou pas. Seule compte la réunion des aléas émotionnels. La ville, sa circulation, ses comptes Twitter, ses « like » Facebook, c’est que dalle, juste du débris de fausses couches. Mieux vaut fermer les yeux et s’imaginer dans un western crépusculaire. Nick Drake rend visite à Johnny Cash. Le vent amène des sons de cloches. Des drones se mêlent à la messe, mais cette cérémonie est ambiguë, étrange. Elle n’offre pas un quelconque pardon, elle n’enlève pas nos démons qui dansent, elle apprend à vivre avec notre malaise. Nous ne sommes qu’humains après tout. Autant le sublimer, quitte à être frustré, mais dépasser l’aigreur de la rupture, c’est montrer qu’on est toujours là.
Le cygne peut déployer ses ailes dans ces ballades amères, cette voix rocailleuse, ces instants répétitifs à la frontière de l’implosion, faisant trembler chaque parcelle du corps, cette ambiance Lynchienne où un enfant répond naïvement « j’suis où là ? » On sera guidé, même si la destination restera obscure et nous rendra malade. Finalement ce n’est pas une question de foi, c’est croire au dépassement de sa condition. Les Hommes ont leur démons, faire le chemin, peut importe les larmes qui coulent, l’esprit embrumé et le trajet brisé entre extase et insatisfaction. Swans a trouvé sa corde, il remonte du gouffre dans lequel il s’était enseveli quinze ans auparavant. Les Hommes ont leurs démons, mais il n’est pas interdit que ces enfoirés fassent la gueule de temps en temps.
Jérémy Urbain (7/10)
http://swans.pair.com/