Supersilent – 5
Supersilent
Rune Grammophon
Noir comme l’ébène. Rien de tel pour donner une couleur sur cette nouvelle livraison du combo nordique. Mais ? Le noir ? Ce n’est pas une couleur mais l’annulation de toutes les couleurs, aspirées par l’obscurité, l’abîme, infini et délétère. Ce choix chromatique, loin d’être le résultat d’une soirée de biture, retranscrit bien les expressions développées, les esquisses encadrées qu’on parcoure. « 5 » part sur rien et de rien… Il est opaque, brumeux, et ses mélodies surgissent en des instants fugaces. Aussitôt entendues, aussitôt perdues, évaporées de nos mains. Saisissant ! Cet album, plus qu’un autre, touche et façonne le silence. Il est fantomatique, jamais effrayant, toujours fascinant. Les instruments passent sous filtres, les arrangements cheminent en ondulations, trottinant, se lovant, se répercutant sur une plaque de coton. L’ambiance en avant-plan, une élongation des composants, une tournure minimale, des flambeaux, résidus et traces d’un moment. Constructions en cours, déjà finies ou à jamais inachevées, le choix, finalement, importe peu.
Interrogation… Supersilent ouvre une porte. Son contour est indéfini. On peut encore parler de jazz, de sa liberté, de son envie de transcrire un moment fugace en dehors de tout contexte évènementiel, musical ou artistique. La sensation, le ressenti qui agrippe, cette allure ambient, faussement timide, qui fait fermer les yeux. Un dialogue entre la matière et l’espace. Toujours sur le fil néanmoins, une corde raide, un maintien fragile, tenu, le sentiment qu’on effleure quelque chose de peur de la brusquer… Car oui, on n’ose pas interférer avec les volutes musicales de Supersilent. Les choses viennent et ne se ressemblent pas. Et au milieu, le vide, intense, angoissant, subtil et revêche, imprégnant chaque micro-parcelle de « 5 ».
Le reste n’est que plainte, lointaine, indécise, murmurée ou contemplée. L’effraie, glaciale, un souffle gelé au creux d’une oreille égarée. « 5 » inquiète, « 5 » joue sur ses improvisations, ses timbres multi-visages, ses micro-explosions, son climat feutré, un empilement sonore dématérialisé. L’époque « 1-3 » est révolue et avec cette dissolution apparaît le substrat, les coins rabotés, poncés, une fraicheur décuplée, une disponibilité. Pierre philosophale, objet au caractère unique voir incompréhensible, « 5 », tout simplement.
Jérémy Urbain (9/10)