Supersilent – 4
Supersilent
Rune Grammophon
Ce qu’il y a de bien avec un groupe comme Supersilent, c’est qu’à chaque fois qu’on s’attaque à un de ses albums, on est nécessairement en terre vierge de toute exploration. Par ailleurs, on peut en parler de toutes les manières possibles. Sous un élan littéraire, sortant la meilleure plume possible, sous un angle purement descriptif, ne laissant pas pour autant d’alternatives d’appréciation, et j’en passe. Chaque album du groupe est comme le premier, comme le dernier d’une carrière longue de plusieurs années. On ne peut que difficilement faire un point, lire une évolution (bien que présente). Tout juste peut-on suivre une chronologie qui prend racine dans les titres et noms d’album. Supersilent est un combo contextuel. Ce qui en ressort à chaque album plaira ou pas, car situé dans un espace temporel et sensoriel libre d’attache pour chaque être vivant sur cette terre.
« 4 » est l’occasion de faire plus ample connaissance, pour ceux qui se sont remis du monstrueux « 1-3 », avec les protagonistes venus du nord. Par-là, je veux dire qu’on entend nager et s’élever les différents instruments qu’on aurait pu croire broyés et noyés dans la masse, pourtant gargarisante, du premier triple effort. La trompette d’Arve Henriksen sonne comme si Miles Davis était sorti de sa tombe pour s’offrir un bœuf d’entre les morts. La batterie de Jarle Vespestad se fait discrète, instinctive ou folle, et tellement jazz dans sa manière d’exister. Ståle Storløkken et sa cuisine de synthétiseurs analogiques (ou non), délivre des mélodies déjà tracées, déjà oubliées dans les lignes infinies du temps, ou suivant un tempo véloce pour partir en déchirements dimensionnels d’une autre époque contemporaine. Enfin, Helge Sten, l’un des seuls ayant compris l’importance des musiques électroniques dans la musique d’improvisation, impose un casse-tête logistique et matériel mais toujours payant. Pour vous faire une idée, imaginez un conglomérat électronique aussi abstrait qu’exigeant, proche d’un Autechre touillé dans un ensemble jazz sans ligne directrice. Là, vous pouvez commencer à saisir.
« 4 », avec ces quatre-là, semble sorti de son cocon filtrant pour mieux laisser perdurer les notes (Musique ? Intention ? Texture ?), ou semblant être, aussi fugaces soit-elles. Peut-être l’album le plus jazz de leur discographie, à la fois plus simple d’accès tout en restant énigmatique, déposant une barrière que l’on a du mal à franchir. Pas le meilleur non plus, un contrepoint astucieux et nécessaire tout en étant brillant, mais toujours aussi intriguant dès que les oreilles se laissent perdre dans ses recoins et ressacs hypnotiques.
Jérémy Urbain (8/10)