Steven Wilson – Hand. Cannot. Erase.
Steven Wilson
Kscope
La publication des « Cover Version » sera tombée à point nommé. Elle a en effet rappelé aux aficionados de Steven Wilson qu’il était un génie musical, un touche-à-tout à succès, qui pouvait donc reprendre du Prince ou du Alanis Morissette et insuffler à ces tubes sa patte inimitable, tout comme il pouvait ressusciter des morceaux de The Cure ou un vieux titre folk de Donovan. Les inédits qui complétaient ces hommages montraient l’étendue de sa palette créatrice, de la pop au planant en passant par l’atmosphérique. La carrière solo du maître a créé la surprise et parfois la controverse, avec « Insurgentes » et ses explorations réjouissantes de courants musicaux obscurs, « Grace For Drowning » et son mélange des genres, et « The Raven That Refused To Sing« , opus purement progressif qui allait là où Wilson se refusait d’aller, avant qu’il ne décidât qu’il était temps pour lui de saluer ce fameux courant avec un album qui aurait pu sortir en 1972. L’objectif de Wilson étant de ne pas se répéter, les progueux peuvent donc réécouter en boucle « The Raven » car avec « Hand. Cannot. Erase », Steven Wilson est parti chercher ailleurs son inspiration.
Et pour aller à l’opposé du précédent, il a voulu composer quelque chose de moderne, de plus urbain, tout en faisant appel à ses influences. Le résultat : plus pop et électro, aérien ou heavy, et progressif par touches. Avec « Hand Cannot Erase », Steven Wilson se rapproche le plus du son de feu Porcupine Tree (qui d’ailleurs ne renaîtra pas tout de suite de ses cendres), mâtiné de mélodies que ne renierait pas Blackfield, tout en allant bien au-delà. Toujours obsédé par le côté sombre de notre société, Wilson prend pour point de départ un sordide fait divers : une femme de 38 ans retrouvée morte chez elle, 2 ans après son décès. Et Wilson de s’interroger sur l’isolement dans une mégalopole où vous pouvez disparaître du jour au lendemain alors que vous êtes entouré de milliers de personnes. Pour cela, il ne change pas son équipe de musiciens : Guthrie Govan à la guitare, Nick Beggs à la basse, Marco Minnemann à la batterie, Adam Holzman aux claviers et Theo Travis au sax et flûtes.
Quelques notes de piano mélancolique ouvrent le bal avec « First Regret » et son aspect déglingué semble indiquer qu’il y a quelque chose de déréglé, d’inquiétant quelque part. Pourtant « 3 Years Older » s’embarque dans une odyssée dynamique et variée, où l’on pense à Yes, à Porcupine Tree, aux Who, voire même au David Bowie de « Space Oddity ». Un excellent trip musical où l’on retrouve la marque vocale d’un Wilson mélodique, réconcilié avec son passé. Sa dernière partie, très progressive, clôture un titre phare ! « Hand Cannot Erase » est un single en puissance, très dans l’air du temps, qui aurait pu convenir à Blackfield. Un bonheur très accrocheur et addictif. « Perfect Life » surprend par son démarrage parlé et atmosphérique, avant une partie aérienne et angélique, magnifique.
« Routine » est un mélange de genres très bien construit, avec piano mélancolique et guitare lumineuse, puis s’attarde en route façon Opeth dernière mouture avant un solo de guitare magique, et une partie plus hard avec un chant féminin de Nina Tayeb de toute beauté, le tout faisant penser à Pink Floyd. La fin du morceau, splendide, donne une palette émotionnelle étonnante à l’album. « Home Invasion » convoque brillamment les fantômes du passé jazz rock, tout en imprimant une marque de fabrique indéniable, avec un clavier digne d’un Neal Morse en mode funky, et une fin Porcupinienne en diable, avec ce son de guitare inimitable. « Regret #9 » rallonge le plaisir avec un clavier virevoltant, avant que la six cordes ne reprenne ses droits. Fabuleux. « Transience » nous remémore le Porcupine Tree aérien et envoûtant avec un petit côté Bon Iver sur la manière de chanter plutôt intéressant.
Autre gros morceau, « Ancestral » et ses 13 minutes. Sa première partie montre une nouvelle fois que cet opus est le plus émotionnel de son auteur, d’habitude beaucoup plus froid. Un voyage magnifique, avec un solo de guitare qui prend aux tripes, avant une seconde partie très Porcupinienne encore, rappelant « Fear Of A Blank Planet ». « Happy Returns » retrouve le Wilson plus pop, avec encore une fois de splendides guitares, un morceau aérien en apparence léger, alors qu’il narre les derniers instants de cette femme dans son appartement, pensant à son frère, à sa vie, en train d’empaqueter ses cadeaux de Noël. Enfin, « Ascendant Here On » retrouve un instant angélique pour accompagner la fin du voyage.
« Hand. Cannot. Erase. » possède toutes les qualités que l’on aime chez Steven Wilson : cette aisance mélodique, ces influences multiples et variées, ce sens de la construction de la narration musicale, cette voix claire, et ces guitares magiques. A cela, il ajoute l’émotion. Et cette émotion prend une place impressionnante dans cet album qui humanise le propos. Car il s’agit de relater un fait d’isolement dans notre société certes, mais en prenant le prisme de l’humain, Steven Wilson amène son projet vers d’autres horizons, là où d’autres concepts (comme « Fear Of A Blank Planet » par exemple) restaient froids et cliniques.
Musicalement, le mélange des genre diversifie les morceaux, et le plaisir n’en est que multiplié. Assurément, un album de l’année, et une pierre angulaire à l’oeuvre de Steven Wilson.
Fred Natuzzi (10/10)
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C vrai,Wilson ne se répète pas et c bien la signature d’un artiste hors norme(les disques de floyd ne se ressemblent pas qu’on aime ou pas) d’ailleurs ça nous change radicalement de neal morse et consorts.
Un 10 parfaitement mérité Fred!
En fait, je suis partagé. D’un côté, il y a beaucoup d’idées en pagaille, et la variété dans le propos musical a toujours mon adhésion. De l’autre, l’impression générale est que c’est…du prog ! alors que le morceau « perfect life » semblait annoncer un tournant bienvenu et une facette différente de celui dont les proggeux (pas les autres) n’arrêtent pas d’aduler depuis 20 ans…
Animal, merci à toi ! Lucas, arrête de voir du prog partout !
Fred, je crois que ce serait malhonnête de ne pas qualifier ce dernier opus de « rock progressif » 😉 Si tous les morceaux étaient comme « perfect life » je ne dirais pas, mais là c’est difficile d’appeler l’ensemble autrement.
Au risque d’apparaître comme un rabat-joie, cette nouvelle œuvre du sieur Wilson ne me passionne guère : trop hétérogène, trop Porcupine Tree, le tout manquant singulièrement de cohésion (contrairement à « the raven… » Pourtant, de nombreuses bonnes idées et de bien belles mélodies mais parasitées par le fait que je ne sais plus ce que j’écoute : du Porcupine tree ? du Blackfield ? du No-Man ? ou bien du Steven Wilson ?
Comme dirait cette grande exégète musicale qu’est Jennifer (sic ! est-il utile de le préciser ?) « il y a trop de couleurs musicales pour adhérer totalement au propos ».
moi, ça ne me dérange pas que ce soit diversifié (je n’aimerais pas des groupes comme mr bungle ou praxis autrement). C’est plutôt ce côté « m’as-tu vu » des plans jazz-rock et prog, que je m’attendais à voir balayé d’un revers de la main sur cette dernière livraison (comme ça le steven aurait prouvé qu’il est bien plus qu’un simple progueux).
Et que penser des « plans vocoder » dont Wilson use et abuse depuis 25 ans ?
L’album est suffisamment diversifié pour ne pas le ranger exclusivement du côté du prog. Evidemment que c’est prog. Mais pas que. Il y a beaucoup de pop, de touches electro, et un mélange de genre qui moi me ravi. Les passages jazz rock sont peu nombreux, Lucas, je pense que tu exagères un peu ! Steven wilson est bien plus qu’un progueux et il l’a prouvé par le passé. Justement, avec les deux derniers opus solo, je commençais à ne plus adhérer à la démarche de Wilson, le trouvant trop progueux !! Je comprends l’avis de Maisiat car il ne s’y retrouve pas ou plus. Moi c’est ce qui me plaît justement. The Raven était progressif et donc « cohérent » pour Maisiat car dans la même « couleur ». Je préfère le Wilson diversifié qui fait un vrai album plutôt qu’un concept musical unique. « Insugentes » était de cet acabit, tout come « Lightbulb Sun » par exemple. Pour « Hand Cannot Erase », cela donne un propos qui va au-delà du simple « nouvel album de » et impose une émotion superbement démontrée. D’où mon 10.
Un défaut de l’homo sapiens, c d’accepter difficilement le goût des autres.
A propos, « le goût des autres » me fait penser à un film..
Quoiqu’il en soit il n’est pas question de polémiquer, car l’appréciation d’une œuvre repose en partie sur des émotions logées, loin, très loin dans le cortex…
Je ne comprends pas ce débat sur « prog/pas prog » ou encore « je ne sais pas si j’écoute du Wilson, du No Man, etc. »
Moi, tout ce que j’écoute, c’est un album qui m’emmène loin, très loin et qui est devenu pour moi en l’espace de 3 jours un des meilleurs albums de ma discographie.
Après, c’est toujours difficile de classer les œuvres de Sieur Wilson. Mais bloquer ses shakras juste parce qu’on se pose des questions sur le style, quel dommage !
Bravo m. Wilson, vous m’avez encore touché en plein coeur ! Vous abordez de façon somptueuse un fait divers tragique et sordide.
Vous transformez chaque histoire en conte musical magique alors merci !