Heritage/Grace For Drowning/Storm Corrosion : le triptyque de Steven Wilson et Mikael Akerfeldt

SW MA

Voici 3 albums sortis depuis quelques mois et qui forment une sorte de tryptique. Opeth et Steven Wilson ont été liés par le passé lorsque Wilson s’est intéressé au métal un peu … guttural. A l’époque, Opeth était plutôt du côté darth de la force que du côté ambiant planant progressif ! Après avoir mixé l’album « Blackwater Park », Wilson a participé aux albums suivants qui prirent un tournant comme on en avait rarement vu dans ce milieu : à l’image de Talk Talk qui est passé de la pop new wave à la pop minimaliste et exigeante, ou à l’instar de The Gathering passant du métal pur à l’electro planant, Opeth lui, a abandonné tout chant guttural et avec lui le coté death pour devenir les papes suédois du désespoir romantique planant ! On est passé de l’obscur au clair-obscur, si je peux me permettre ! Quelques albums plus tard, le groupe reprendra son style death mais pour quelques titres seulement, avant de l’abandonner encore (définitivement ?) et de prendre un nouveau virage avec « Heritage », très différent de tout ce qu’avait pu produire le groupe jusqu’ici, et mixé conjointement par Akerfeldt et Wilson.

Opeth – Heritage (Roadrunner 2011)

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« Heritage » commence par un magnifique morceau éponyme, mélancolie jazzy au piano qui annonce l’ambiance de l’album. « The Devil’s Orchard » démarre sur les chapeaux de roue, très 70’s, très suédois dans l’âme également, avec un très bon riff et une voix claire comme jamais de Mikael Akerfeldt, totalement maître de ses effets. Ce morceau montre bien qu’Opeth s’ouvre vers une nouvelle voie à tiroir et à atmosphères changeantes. Un must de l’album. « I Feel The Dark » est dans la même veine, en plus planant, « Slither » remet la gomme et se permet un final à la guitare espagnole de toute beauté, « Nepenthe », plus calme, vogue sur un style free jazz, le minimaliste « Haxprocess » invite à la rêverie jusqu’au réveil par un développement typiquement Opeth avant un retour au calme. « Famine » commence par des percussions orientales sur un paysage sonore inquiétant et enchaine sur un piano voix envoutant avant de multiples changements d’ambiance, « The Lines In My Hand » est plus dynamique et offre de beaux moments rythmiques, « Folklore » plutôt aventureux, se permet un très beau solo de guitare, tirant sur le néo prog ! « Marrow Of The Earth » conclut l’album sur un instrumental façon Steve Hackett, guitare acoustique mélancolique à l’appui entremêlée d’une superbe guitare électrique. Un final d’une grande beauté, majestueux, limpide, serein.

Il faut saluer l’inventivité du groupe qui a osé prendre un autre chemin que celui sur lequel on les attendait. Et c’est avec une pleine conscience que Mikael Akerfeldt a choisi d’écouter son inspiration, plutôt que ses fans, comme il le révèle dans le dvd accompagnant l’album. « Heritage » n’est certainement pas pour toutes les oreilles ; l’album déconcerte à la première écoute, et demande une attention particulière à l’auditeur. Il mêle le prog scandinave, les sonorités 70’s, tout en gardant la touche Opeth, en y incluant une direction plus progressive encore et expérimentale. Il se révèle d’une grande richesse, non seulement sur les compositions mais aussi sur le travail de la voix et … du mixage. Du grand art, et de loin le plus réussi des trois albums chroniqués.

Steven Wilson – Grace For Drowning (kscope 2011)

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Pendant ce temps, Steven Wilson sortait un album solo, « Insurgentes », très réussi et varié, montrant des côtés de l’artiste encore inexploités, comme le drone ou l’expérimental. Le suivant, « Grace For Drowning », double album, sort à peu près en même temps qu’Heritage. C’est le côté expérimental qui ressort, laissant à part bon nombre de qualités du premier album avec lui. Car du coup, ce double album est très inégal, à la fois enthousiasmant et … d’un grand ennui. Steven Wilson se perd un peu dans ses expérimentations jazz prog, et peut carrément exaspérer, comme dans cette suite, « Raider II », indescriptible morceau de 20 minutes aboutissant à une sorte de King Crimson plus intello tu meurs… Pourtant, King Crimson n’est pas une mauvaise référence, bien au contraire, « Sectarian » en est un bon exemple, avec en plus un peu de Porcupine Tree époque « Voyage 34 ».Theo Travis est au sax, est-ce une coïncidence ? En tout cas, le morceau est réussi. « No Part Of Me » par contre, commence avec un son electro pour ensuite virer à l’expérimental gonflant, avec … une bonne partie de King Crimson : Pat Mastoletto, Trey Gunn et Theo Travis ! Autre titre exigeant mais réussi : « Remainder The Black Dog », morceau à tiroir un peu fou avec de très belles interventions de Steve Hackett à la guitare, qui s’en donne à cœur joie. Double album et 12 titres, peu d’entre eux semblent abouti, notamment ceux du 2ème CD : « Belle De Jour », « Index » et « Track One », font office de remplissage, sans relief particulier. Seuls les morceaux plus accessibles tiennent la route : « Deform To Form A Star » et son cortège d’invités : Jordan Rudess, Tony Levin et Theo Travis (encore !) est une belle chanson Porcupinienne, « Postcard » qui semble venir tout droit de « Lightbulb Sun » est orchestrée par Dave Stewart et tout simplement magnifique, et « Like Dust I Have Cleared From My Eye », qui clôt l’album, planant et beau.

Steven Wilson souffle le chaud et le froid sur cet album. Contrairement à « Insurgentes », « Grace For Drowning » n’a pas cette capacité à captiver. On reste sceptique sur la démarche adoptée par notre touche à tout habituellement génial qui se disperse un peu trop ici, et la mise en sommeil de Porcupine Tree est peut-être le signe de la fin d’une époque. L’avenir nous le dira. Signalons qu’il existe une édition spéciale avec un 3ème CD qui regroupe 3 titres inédits (meilleurs que ceux du 2ème disque !) et 3 démos de l’album.

Storm Corrosion – Storm Corrosion (Roadrunner 2012)

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Storm Corrosion est l’aboutissement de la collaboration artistique entre Wilson et Akerfeldt. Et effectivement, les compos sont exactement dans la lignée de « Grace For Drowning » et de « Heritage » : minimalistes, inquiétantes parfois, lente et mystérieuse la plupart du temps, et expérimentale. On retrouve le talent de compositeur de Akerfeldt sur « Hag » par exemple avec ce mellotron typique, et les mélodies spécifiquement Wilson. Cependant, l’énergie et le dynamisme d’ »Heritage » ont fait place à une musique atmosphérique à la fois planante et psychédélique où l’auditeur est condamné à rester concentré tout du long. « Drag Ropes » en est l’exemple parfait : on retrouve des moments très Opeth dans les guitares (sporadiques) mais qui n’arrivent pas à prendre le dessus sur l’ambiant plan plan tissé par Wilson. Le titre « Storm Corrosion », dans sa construction, montre la même faiblesse (facilité) que sur l’album de Wilson : une première partie planante et très plaisante suivie d’une partie instrumentale et expérimentale à la Bass Communion dont on ne sait ce qu’elle fait là, suivi encore d’une section plus « Heritage ». Même la batterie, tenue par Gavin Harrison, est paresseuse, et les bois de Ben Castle peinent à instaurer une identité plus forte. Il y a donc des moments magnifiques mais il faut bien le reconnaitre, sur la durée, on reste vraiment sur sa faim. De plus, Akerfeldt ne chante (magnifiquement) que sur « Drag Ropes », le reste étant assuré par Wilson. On aurait attendu plus de moments conjoints sur les voix, les deux se mariant très bien. L’instrumental « Lock Howl » peine à retenir l’attention, « Happy » n’inspire que l’indifférence tant on sent le manque d’inspiration, et le lent et paresseux  « Ljudet Innan » qui termine l’album ne fait que renforcer la terrible impression de gâchis qui en ressort : sur 6 titres, on ne retiendra que les trois premiers.

« Storm Corrosion » était un projet intéressant et ambitieux, le résultat est très décevant, très en deçà de ce que l’on pouvait attendre d’une telle collaboration. Vous l’aurez compris, on espère bien mieux de Steven Wilson dans ses projets solo, et on souhaite à Mikael Akerfeldt de poursuivre sur sa lancée au sein d’Opeth et de nous produire d’autres albums aussi beaux et réussis qu’ »Heritage ».

Fred Natuzzi  

(Héritage 8,5 – Grace For Drowning 6/10 – Storm Corrosion 4,5/10)

http://www.opeth.com

http://www.swhq.co.uk/

http://stormcorrosion.com/

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