SN-A – Distance
Meshwork
2018
SN-A – Distance
Je vous ai déjà parlé d’X Marks The Pedwalk, un groupe allemand peu commun et par ailleurs aussi peu connu en France, fondé par André Schmechta, alias Sevren Ni-Arb. Et j’écrivais ceci : « Rien que ces noms posent questions, et je n’ai pas encore parlé de la musique. Mais parlons déjà du nom du groupe, puisque le nom que se choisit une formation, c’est son étendard, son emblème. Alors voilà, le nom X Marks The Pedwalk provient en droite ligne d’un récit de science-fiction de Fritz Lieber relatant le début d’une guerre opposant piétons et automobilistes. C’est déjà assez dire que ce groupe vieux de 25 ans, dont André Schmechta a néanmoins été le seul membre stable, situe clairement son univers dans l’imaginaire, la noirceur et la technologie. Comme si écouter du X Marks The Pedwalk signifiait traverser en esprit un invisible miroir. Pour preuve de ceci, André Schmechta s’est mué en Sevren Ni-Arb, Brain Nerves épelé à l’envers. Cependant la physique quantique nous apprend qu’une anti-particule n’en est pas moins une particule, quand bien même se proclamerait-elle anti. Et que donc traverser le miroir nous laisse tel quel, malgré tout. X Marks The Pedwalk se propulse donc dans l’ailleurs pour mieux nous parler de nous-mêmes. Et ceci d’une façon très humaine, voire très émotionnelle, à cela près que les côtés un brin obscurs de l’homme et de l’amour ne lui font pas peur. »
J’ajoutais également ces lignes : « Je ne vais pas me la jouer grand savant : il y a encore peu, je n’avais jamais entendu parler de X Marks The Pedwalk. Mais ils m’ont envoyé leur nouvel album et je l’ai écouté. Il ne m’a pas fallu plus de trois titres pour que je sois totalement conquis. La beauté des mélodies, la puissance des rythmes, les arrangements aux synthés, les effets sonores multiples et parfaitement maîtrisés, la richesse émotive des voix, l’inventivité énorme encapsulée dans chaque titre, tout m’a frappé par sa volonté de qualité, par son vœu d’en donner un maximum à l’auditeur à chaque instant. Oui, j’ai pris ça pour de la générosité, mieux, pour du respect, et j’ai aimé. Alors j’ai fouillé dans l’histoire du groupe, qui est longue, riche et passionnante. Ce groupe-là pourrait se la péter grave avec un tel passé et une discographie impressionnante d’implication profonde et intelligente dans le mouvement electro allemand. Pourtant ces gens-là, et André Schmechta en particulier, restent tout à fait humbles, indéfectiblement humains. Qu’on me pardonne de m’exprimer ainsi, mais la musique de X Marks The Pedwalk paraît tellement synthétique, technologique, et tout et tout, qu’il me faut bien, pour vous présenter ce groupe de manière vraie et saine, remettre les choses en perspective : derrière les machines, des cœurs battent, s’émeuvent, communiquent et aiment. Ce sont des humains, comme vous et moi. Mais humains trop humains comme dirait Nietzsche. »
Voici donc ce que j’écrivais à propos de l’album Secrets qu’André Schmechta m’avait gentiment fait parvenir, avant que je ne lui demande aussi, sous le coup de l’émotion, de m’envoyer également l’album précédent d’X Marks The Pedwalk, The House Of Rain, qui s’est avéré tout aussi fabuleux que Secrets. Sauf que le Distance dont je veux parler ici n’est pas un album d’X Marks The Pedwalk mais de SN-A, comprendre Sevren Ni-Arb, autrement dit d’André Schmechta all by himself en solo. Pas de chant, pas de paroles, que de la musique. Risqué pour un musicien si habitué à nous faire passer ses émotions au travers de mots parfois très crus ? En fait, Distance n’est pas le premier album de SN-A, un Transmissions précurseur étant déjà paru en 2013, dans un relatif silence, j’ai l’impression. Encore une fois, je peux comprendre ceci, les fans d’X Marks The Pedwalk étant tellement accrochés à sa voix si expressive et ses paroles si émouvantes. Transmissions n’avait pourtant pas démérité, très loin de là. Un journaliste, au sujet d’X Marks The Pedwalk, avait un jour demandé à André Schmechta s’il pensait que ses compositions feraient bien dans un film. La réponse fut que chaque composition s’accompagnait dans sa tête d’images mais qu’il lui serait malheureusement à jamais impossible d’accompagner chaque titre d’X Marks The Pedwalk d’une vidéo. Alors, à défaut de vidéos bien réelles, Transmissions avait eu pour mission de donner à chaque auditeur l’occasion de se créer ses propres vidéos virtuelles à l’intérieur de son crâne, sur des musiques de très hautes volées tout autant rythmiques qu’oniriques.
Pourquoi donc cet accueil relativement frais concernant Transmissions ? Avouons-le, tant qu’on n’a pas écouté la réalité de ce premier opus signé SN-A, cela semble sentir un peu l’album New-Age à la sauce cosmique, facile et rapide à faire. La vérité est pourtant tout autre. Certes, André Schmechta y partait dans une direction très différente par rapport à X Marks The Pedwalk, mais sans jamais se départir de son immense savoir-faire et de sa sensibilité à fleur de peau. De fait, Transmissions était une belle réussite musicale, un album intense, plein de méandres obscurs et de recoins mystérieux. Il est clair cependant qu’André Schmechta a souhaité à toutes forces que le tout nouveau Distance soit encore bien supérieur à ce Transmissions d’il y a cinq ans. Et il est vrai que pendant ces cinq années, la technologie a énormément évolué. Or André Schmechta est un expert des traitements sonores de toutes natures et de la spatialisation à n’en pas croire ses oreilles. C’est cette expertise sans fond du traitement sonore qui est à chaque instant à l’œuvre dans Distance. C’est un festival d’échos en tous genres, de réverbs plus ou moins profondes, et de dégradations ou modifications du son diverses et variées. Mais c’est surtout l’intelligence des compositions qui frappent. Aucune n’est simple ou évidente. Ce ne sont que des labyrinthes harmoniques et rythmiques, des mélodies à tiroirs, des contrepoints de séquences complexes. J’adooooore ! Chaque réécoute d’un titre est la redécouverte d’un territoire sonore déjà parcouru mais pourtant demeuré tout aussi énigmatique. D’atmosphériques, de perturbants ou de fascinants, on aurait peine à désigner le meilleur des douze titres de Distance. J’ai cependant un petit faible pour « Re-Awake », le dernier morceau de l’album. Il est tellement audacieux et sinueux qu’il en devient parfois abscons et revêche. Et c’est tant mieux. Je ré-explore toujours ce morceau tel un inédit de fraîche date, essayant de mieux le comprendre à chaque fois. C’est du boulot, mais c’est toujours un immense plaisir aussi. Et en vérité, chaque titre de Distance est ainsi, insondable et magnifique.
Frédéric Gerchambeau