Sknail – Snail Charmers
Sknail
Unit Records
« Jazz et glitch copains
Ça doit pouvoir se faire
Pour qu’il en soit ainsi »
Claude Nougaro (adapté)
Sknail est le pseudonyme d’un producteur et compositeur helvète, qui se plaît à recouvrir l’ossature jazz de ses invités d’une chair « glitch », qu’il façonne à l’aide d’un ordinateur. Jazz, on comprend puisque piano, contrebasse, clarinette et trompette sont de la fête. En revanche « glitch » n’évoquera certainement rien pour qui ne suit pas l’évolution de la musique électronique. Tentons donc d’y voir plus clair dans cette rencontre qui n’est pas si fortuite à l’ère où le jazz aime à se parer d’atours modernes. Pour commencer, quoi de plus naturel que de se pencher sur la signification de « glitch ». Il s’agit en fait d’un défaut dans un circuit électronique ou informatique (un bug pour faire simple) ! Même si on comprend son acception, la composante « glitch », que notre amateur d’escargots tient tant à partager, peut néanmoins surprendre par son côté erratique et l’impression générale que le disque présenterait un défaut d’enregistrement.
Mais, s’associant à une approche urbaine de la scansion d’un de ses acolytes, elle échafaude de manière moderne et originale les schémas de cadence rythmant une musique par ailleurs relativement traditionnelle dans son instrumentation et son interprétation. Ainsi, telle l’écume se formant à la surface de vagues venant s’échouer sur la grève, le « flow » des lignes vocales mousse ici dans l’effervescence des grésillements rythmiques accompagnant les couleurs automnales des compagnons d’improvisation. En effet, là où les notes du piano descendent lentement comme la sève s’écoulant du tronc d’un arbre, la contrebasse se recroqueville sur elle-même pour rentrer dans un cercle d’introspection mélancolique.
Les tons se ravivent néanmoins quand la clarinette roule des grands yeux ou quand la trompette entraîne ses camarades dans la moiteur du climat humide que son souffle cherche à entretenir. Bien connu pour se prêter à tous les mariages possibles, le jazz semble cependant ici prêter peu d’attention aux perturbations qui l’entourent. Une concentration des plus admiratives anime notre quatuor dans les développements raffinés qui émanent de leurs doigts.
Le rap et les « glitchs » n’étant pas invasifs, ils se fondent avec bonheur dans le moule, jetant un pont entre le passé et le futur. Ce pont est finalement moins fragile que le fil du rasoir suggéré en filigrane de l’artwork représentant un escargot qui n’a d’autre choix que de traverser le tranchant d’une lame de rasoir pour rejoindre l’autre rivage.
Lucas Biela
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