Skin Area – Journal Noir/Lithium Path
Skin Area
Cold Meat Industry
Ce double-album a été pour moi une énigme. Je l’ai. Je suis content de l’avoir, mais je ne comprenais rien de ce qui se tramait dedans. Le concept, j’y suis passé à trois kilomètres. L’agencement des titres ? Incompréhensible. Tout juste restait-il ce premier titre ouvrant « Journal Noir ». Une claque. « Posthumous » ? Une marée noire et boueuse, un texte parlé, hurlé (Lights Out !!!!), une montée de drone et autres stridences se terminant dans un déluge harsh-noise étourdissant de violence, résultat psychédélique. Et puis… on réessaye.
Il y a comme une sorte d’interrogation dans ce double disque, un questionnement. L’âme et la création. Musique bruitiste, musique ambient, psychose, transcendance. Le lieu, transformation, mutation, acoustique, désagrégation. Aussi, « Silverhall » nous emmene dans d’inquiétants mantras parasités, que « Borderline » conjugue noise distordue avec trompette de cors (Hermann Nitsch n’est pas loin). « The Room » convoque quant à lui l’ombre d’Alvin Lucier, alors que ‘Lithium Path Pt 1’ nous emmène dans un voyage textural que n’aurait pas renié un Brian Eno période ‘Appollo’ (modulation de MS.20 en prime, manipulé ici par Erik Jarl). Skin Area cisèle et façonne, veut former un nouvel espace d’écoute, aller vers ce ‘petit quelque chose’ en plus. Plus loin. Au-delà. On quitte la sphère industrielle et ambient stricte pour partir dans des rivages ouvertement expérimentaux. La musique, et par extension l’art, se créent à mesure que les disques se déroulent, s’enchâssent et délivrent, petit à petit, son par son, leurs secrets.
On a un miroir. « Journal Noir » est compact, grinçant (à la David « Organum » Jackman), par moments assourdissant. « Lithium Path » est plus calme, feutré, scintillant même (ce côté post-rock dronisant sur « Into Bliss » ou « Lithium Path Pt 2 ») mais tout aussi inquiétant (le délétère « Elvira »). Un supplément cadeau qui nous permet de saisir l’intensité conceptuelle du premier volet. Car ce qui fait que « Journal Noir/Lithium Path » soit aussi prenant, et par là si nouveau, c’est par la somme des deux. Sortis séparément, les objets perdent de leur caractère et leur unité finalement. Cela revient à décapiter Janus… à peu de choses près.
Pour appréhender cet album, il m’aura fallu un temps d’adaptation et d’écoute plus qu’attentive. Mais maintenant je me rends compte que « Journal Noir/Lithium Path » est une pépite d’une telle aspiration et d’audace avant-gardiste, et pour tout dire, dans le cercle des musiques post-industrielles, on a rarement entendu aussi maîtrisé. L’impression de sortir d’une impasse. Une perception nouvelle. Sûr qu’il y aura un avant et un après « Journal Noir/Lithium Path ».
Jérémy Urbain (9,5/10)
Site web : http://www.skinarea.vze.com/