Scorn – Café Mor

Café Mor
Scorn
Ohm Resistance
2019
Jéré Mignon

Scorn – Café Mor

Scorn Café Mor

Avant même de rentrer dans le fond du sujet boueux de Café Mor, quelques règles sont de mises :

Règle numéro 1 : Écoutez-le au casque pour une immersion maximale.

Règle numéro 2 : Baissez les basses (et quel que soit le format) sous risque de perdre de manière irréversible en audition, si ce n’est pas un sphincter qui lâche.

Règle numéro 3 : Oui, pour les amateurs de vinyle, l’album s’écoute bien en 33 tours et non en 45…

Presque une décennie que Mick Harris avait disparu des sonars. Fin d’activité pure et simple ? Celui qui avait par son jeu de batterie quasi enfanté Napalm Death ainsi que TOUTE la scène extrême. Celui qui s’est aventuré dans les contrées obscures du dub, de la musique électronique, industrielle et ambient (avec un nombre conséquent de sorties sous plusieurs pseudonymes). Celui-là n’avait plus donné une once de nouvelle durant plusieurs années, neuf précisément (bon, mea culpa, il était réapparu avec Fret. Mais de là à disparaître des écrans, il y a bien une marge. Les adieux, Mick il les connaît, il les collectionne même. Mais… Presque dix ans… Ici, on parlerait d’une certaine « crise » de la cinquantaine. Tel Kevin Martin (The Bug, Zonal ou Justin Broadrick (Godflesh), Zonal encore), Mick Harris revient contre vents, marées et modes (ce qu’il était déjà à la base, rien de neuf là-dedans) avec ce nouvel album. L’homme, maintenant grand-père, a toujours été connu pour son cruel manque de confiance en soi, tiraillé entre timidité maladive et comportement agressif. Pouvant s’emporter comme un pitbull ou rester autant de marbre qu’une carpe en manque d’oxygène, Harris est pourtant l’un des précurseurs de ce deep-dub hypnotique où répétition rime avec rigueur, où la mélodie se fait quasi spectrale, où seuls restent un état, une constatation, une angoisse claustrophobe tapis au plus profond de soi qui ressortent de manière spasmodique dans des infra-basses terrifiantes et déliquescentes.

Scorn Café Mor Band 1

Parce oui, Scorn et les basses, c’est la base. Une confrontation. Difficile de faire plus souterrain à déranger le rythme cardiaque. Synthétique, le bonhomme en est presque à renier son passé de batteur, Scorn est surtout sismique, savant même mais surtout instinctif. C’est l’humain et ses défauts qui parlent. Dans la répétition des rythmiques, l’étirement du temps, dans les recoins et les interlignes, c’est la crasse et les infra-basses. Dès la première seconde, le rideau se lève. C’est la nuit, il pleut fort. C’est l’Angleterre, Birmingham. Ça refoule le charbon, l’industrie, le désespoir. Le sordide, degré zéro de l’espoir. Birmingham, c’est la logique industrielle qui a enfanté ce qu’il y a de plus dégueulasse. Plus les gens sont broyés, moins ils réagissent. C’est pas parce que Harris a ressorti ses échantillonneurs et autres tables de mixage ou qu’il soit grand-père que son ressenti a évolué. Son angoisse de la société transpire de Café Mor. Pas de crescendo ici, de point d’acmé ou d’instants de respiration et encore moins d’élaborations d’une quelconque atmosphère mélodique (comme bruitiste). Café Mor est la traversée d’un brouillard métallique à pas pesants et ralentis sur quelques effets de reverb bien sentis. Et même si on a en guest Jason Williamson de Sleaford Mods sur « Talk Whiff », l’asthénie est proche. L’inertie guette, le paysage est morne, l’isolement tangible…

Scorn Café Mor Band 2

Rien que cette pochette en dit long. Mick Harris photographié par sa femme déambulant le long d’une plage après avoir partagé un repas au restaurant curieusement appelé le Café Mor… Il apparaît seul, perdu face à l’immensité, perdu dans ses pensées, cloisonné dans le cadre, emprisonné par la composition, emmuré par un pays qui va très prochainement se couper du monde. Parlant. Cette seule pochette, seulement retouchée par un passage au gris contrasté met en exergue l’état d’esprit d’un pays, d’une ville, d’une société au travers d’un homme, touche-à-tout mais pétri de craintes, d’appréhensions et, quelque part en plein désarroi… Café Mor n’est, peut-être, pas exclusivement un retour discographique du mastodonte Scorn mais possiblement l’incarnation possible et inconsciente d’une contrée en perdition de ses repères au travers du prisme de Mick Harris, une personnalité attachante, frondeuse et au questionnement permanent.

Minimal, immersif et ténébreux, Café Mor ne demande que la préhension de son auditeur (victime ?), celle d’entrer dans les méandres de son géniteur. Bon retour parmi nous monsieur Harris !

https://ohmresistance.bandcamp.com/album/cafe-mor

 

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