Satan – Toutes Ces Horreurs
Throatruiner Records
2020
Jéré Mignon
Satan – Toutes Ces Horreurs
Satan. Rien que le nom… Déjà, ça sent le punk, voyez, le poil mouillé et la canette absorbée au coin de la rue sur un carton. C’est l’attitude qui parle. Satan, comme nom de groupe, ça relève de la provocation dans la provocation (à la base c’est un groupe de heavy metal british actif depuis 1979) et si on rajoute le look des membres du groupe semblant sorti d’un tremplin musical aléatoire, ça rajoute au potentiel. J’ai personnellement toujours trouvé Satan à part dans la scène musicale extrême française. Son nom cliché, ses performances scéniques intenses, son apparence esthétique changeante en fonction des albums, son radicalisme outrancier à brouiller les pistes entre le grindcore des débuts, le black metal et le punk de maintenant, clairement, simplement, fusionnés et assumés. Ce chant français endossé et carrément mis en avant, cette frénésie dans des titres aussi courts que vindicatifs mais au potentiel néfaste avéré, c’est limite du crache-gueule intempestif, ligoté sur une chaise avec du bon chatterton anglais.
Oui, mais Satan c’est franchouillard et ça renifle la rue, les déchets et le camion des éboueurs matinaux en pleine agglomération. Avec Satan, les narines se dilatent, l’alcool désinhibe et le contenu se fait plus vicelard. Un côté je-m’en-foutiste qui n’en est pas un au final.Pourquoi ? Parce que Satan c’est une marque de fabrique, un style, une posture vacharde, un, voire LE meilleur moyen de fracasser les têtes dans une épure de moyen révélatrice. Si on excepte cette introduction où trompette, clarinette, saxophone se disloquent dans un ballet absurde sur un texte que n’aurait pas renié un certain André Breton, Satan mise sur l’efficacité mais sur une pointe d’efficience retorse et psychotique. Le jeu des cymbales fait mal, la saturation pointe le bout de son nez, ici et là, entre deux décharges virulentes, incongrues, discordantes et tenaces. Leur précédent effort, Un Deuil Indien, qui m’avait pas mal déboussolé à l’époque avec son mixage étrange, capable de rendre la pause café-clope difficile, apparaît dorénavant comme un brouillon, une esquisse perverse de ce que Toutes Ces Horreurs dégueule désormais. Un punk passé sous la moulinette d’un black metal instinctif et ras sa gueule (on peut penser à Darkthrone et son côté je m’en tape les reins, je fais ce que je veux) à donner des nausées au-dessus de la cuvette des chiottes pas vraiment nettoyée. Et que l’écoute passe mieux, à mon sens, que son prédécesseur. C’est méchant, sale, par moment déconstruit mais parfaitement raccord à l’univers du groupe. Intense, sans fioriture, furibard et pour tout dire honnête.
Honnête et simple, tellement que ça en devient compliqué à appréhender. Les repères, les interludes, les finitions, Satan s’en tamponne le cristallin. Toutes Ces Horreurs est à l’image de sa pochette, un puzzle avachi et jeté en pâture doublé d’un glaviot, étalé comme du poisson cru un jour de marché. Ils avaient tenté autre chose sur le split partagé avec Sordide. Mais si ces derniers proposent quelque chose de plus compact et structuré, Satan, lui, préfère le désordre, l’éparpillement et l’éjaculation précoce. Pas de temps pour le finissage, seul reste l’impact… Le coup de butoir. Et même si certains vont chouiner (parce qu’on aime bien chouiner, hein, quand même), sur le final très ambient/drone gluant, celui-ci a déjà le mérite de clôturer l’album comme il se doit, dans l’angoisse et la colle mais en plus, il se permet le luxe de laisser une trace bien pâteuse qui est tout sauf cordiale. Et c’est tout l’art de ce méchoui qu’est Satan d’envoyer valdinguer les règles pour une durée, ma foi conséquente, de bile autant surréaliste qu’aliénante.
Toutes Ces Horreurs est une plongée dans un autre monde, une autre facette de l’underground musical, un postillon aléatoire et libre pour une émancipation totale quasiment dadaïste. On ne trouvera pas d’autres groupes comme Satan à la démarche si unique, voire démente, sans visière, sans reproches. Et franchement, c’est un plaisir d’écouter cet opus à ma fenêtre en buvant mon café arrosé juste histoire de faire chier les voisins. Satan fait chier peut-être parce qu’il est incontrôlable, insoupçonnable mais c’est pour ça qu’on apprécie de voir sa gueule et ses mains éparpillées sur le billot humide.