Roman Rouzine – Humans
Autoproduction
2019
Rudzik
Roman Rouzine – Humans
Et voilà qu’on me branche sur Roman Rouzine, un «guitar hero» avec déjà, pour son jeune âge, une carte de visite longue comme le bras. Jugez du peu : ex chroniqueur et démonstrateur du magazine spécialisé « Guitar Part », prof de guitare depuis une dizaine d’années dans la réputée école de musiques actuelles tourangelle « Tous en Scène (https://www.facebook.com/tousenscenemusique/) » et ambassadeur de grandes marques de matos comme Ibanez ! Alors, moi je me dis, « Bienvenue dans l’univers de l’ego démesuré et du shred frénétique ».
C’est Guillaume, mon ami et leader de CélèS, qui m’a malicieusement branché sur Roman, s’étonnant que je ne connaisse pas ce virtuose local (dont la réputation a donc déjà largement dépassé le périmètre des Châteaux de la Loire mais n’était pas arrivée jusqu’à mon repaire tourangeau, sic !). Alors, comme je suis curieux et que je me méfie de mes a priori, je contacte le maestro histoire de finir moins bête. Et là, mes fameux « a priori » précités rendent les armes sans combattre tellement je suis subjugué par cet album Humans et conquis par la simplicité, le talent et l’humanisme de son créateur (qui a donc choisi un titre qui lui va comme un gant).
Il faut dire que Roman est Franco-Ukrainien et né à Dniepropetrovsk où il a vécu les premières années de sa vie. Alors, plutôt que de livrer une compilation de shreds démonstratifs, le guitariste laisse plutôt toute la mélancolie de son âme métissée slave s’exprimer, amplifiée qu’elle est par la guerre civile ukrainienne larvée qui lui déchire le cœur depuis des années. Et pourtant, il est incontestable qu’il est également le digne héritier des Patrick Rondat, Stephan Forté, David Garrett, Junkie XL ou encore Hans Zimmer dont il se réclame et le prouve en livrant cet opus tutoyant la perfection.
L’occasion est belle aussi de vous parler d’une musique qui n’est pas dans le move, à savoir le néoclassique, un genre basé sur une écriture tonale à laquelle on greffe des éléments plus modernes, harmoniques et orchestraux. C’est celui dans lequel s’exprime Roman Rouzine qu’il a baptisé « ciné-rock instrumental », sa façon à lui de qualifier la suggestion d’images mentales qu’il génère avec sa gratte mais également avec les arrangements musicaux grandioses, sans toutefois être pompeux. Ainsi, les touches électro et l’architecture rock viennent se mélanger aux arrangements dits « classiques », donnant une dimension nouvelle et harmonieuse à ces trois genres musicaux pour décloisonner leurs frontières musicales.
Sans sombrer dans la bio à outrance, il faut noter que le six-cordiste a effectué de nombreuses apparitions en tant qu’invité sur des albums de groupes (Franck Graziano, Guitar Addiction 2, Last Avenue…) et a amorcé sa discographie depuis une dizaine d’années avec un EP puis un album solo à part entière et un troisième au sein du groupe Opus Doria qui donne dans le metal lyrique et symphonique. Humans serait un peu comme du Epica sans chant mais avec un vrai guitariste et beaucoup plus d’émotions. OK, donc au final, ça n’a plus grand chose de comparable.
Dès les premières mesures, on est saisi par l’ambiance pesante et triste des cordes de « Drama », la guitare tardant à faire son apparition, un peu comme si Roman se retenait d’occuper tout l’espace musical de Humans. Lorsque des bends qui déchirent les tripes apparaissent sur un rythme mid tempo pachydermique, la batterie de Quentin Regnault a déjà eu l’occasion de s’affirmer et de montrer qu’elle n’était pas là pour faire de la figuration. Et oui car Roman Rouzine, c’est quand même un vrai combo puisque, outre son batteur, c’est Elvis Slonina, le talentueux bassiste de CélèS qui complète une impressionnante section rythmique. On note également la participation de Laura Nicogossian au piano alors que la totalité des parties de guitare sont assurées par Roman qui, un peu à l’instar d’un Steve Vai, a tellement recours à son vibrato que celui-ci en constituerait pratiquement la septième corde de son instrument.
Quelques accents de twin et « Aura » enfonce le clou émotionnel avant un des sommets de cet album, à savoir le single « Mad Circus ». Avec « ATO » (l’acronyme qualifiant la sale guerre prétendument « civile ukrainienne » alors que chacun sait qu’elle a été soigneusement orchestrée par « l’ours russe »), ces morceaux ont été composés sur fond de pensées bouleversées par le drame qui a sévi et sévit encore à nos portes, alors que nos médias et nos politiques « jaunis » ont d’autres priorités informatives que de continuer à nous sensibiliser sur ce conflit. Pourtant, Humans n’est pas un album revendicatif mais une approche purement artistique. Son auteur me confie que « La technique instrumentale, même si elle est présente, n’est vraiment pas ce qui m’a motivé à composer cet album. Je suis plein d’amour pour la guitare, mais simplement parce-que cet instrument me permet de m’approcher au plus près de ce que je ressens. Les envolées de notes sont là pour servir le propos et par la volonté d’aller chercher le beau. ». L’ayant vu, les yeux baignés de larmes, délivrer les accents déchirants et douloureux de « Mad Circus » en live (avec le concours de Jyhell Rahux à la guitare rythmique), je ne peux que confirmer la sincérité de ses dires.
Evidemment, Humans est donc un album très sombre car les émotions de Roman le sont également le plus souvent, lui qui possède une sensibilité à fleur de peau qu’il exprime dans un « Disgrace » éléphantesque, illustrant la complexité des relations intimes. Même climat lourdingue lorsqu’il s’agit d’une cover très spéciale, à savoir « Lacrimosa » que j’aurais tendance à renommer « LacriMozart » car c’est une œuvre du génial compositeur autrichien que Roman Rouzine a revisitée en jouant à la guitare toutes les parties initialement dévolues au violon. Il faut dire que notre ami est convaincu que, embarqué dans une machine à remonter le temps vers une autre vie, il aurait certainement été violoniste.
Pourtant, l’espoir et le positif sont sous-jacents le temps d’un « Pulse » plus enjoué et surtout pour un final fort justement nommé « Rebirth » qui semble être le signal de la délivrance de tout ce poids émotionnel dont sont lestés l’esprit et l’instrument magique de Roman. Humans est l’album qui lui permet de vidanger cette réplétion mentale et si c’est difficile pour un auditeur d’imaginer le propos qui sous-tend chaque titre, faute de texte, il est indéniable qu’à l’écoute de cet opus, on a rapidement le cœur serré par des sentiments forts et puissants impulsés par ces compositions ténébreuses. Je n’ai eu connaissance des thèmes imagés par l’auteur qu’après coup et cela a été plus une explication de texte pour moi de ce que j’avais ressenti qu’une révélation d’une surcharge émotionnelle que je n’aurais pas perçue à mes premières écoutes.
Il n’est pas surprenant que toutes ces émotions finissent par me faire accoucher d’une chronique fleuve dont je suis le premier surpris du fait que j’ai traditionnellement du mal à broder sur les albums instrumentaux. En l’occurrence, et au delà de l’indéniable talent de Roman, c’est bien la tessiture de son propos musical dans son ensemble qui m’a inspiré cette prose conséquente. Humans n’est donc pas une vitrine de technicité surabondante mais bien une œuvre débordante de sentiments puissants dont la fascinante guitare du prodigieux Roman en est le plus fidèle des moyens d’expression.
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