Robin McKelle – Impressions Of Ella

Impressions Of Ella
Robin McKelle
Doxie Records – Naïve/Believe
2023
Thierry Folcher

Robin McKelle – Impressions Of Ella

Robin McKelle Impressions Of Ella

Plus de quinze ans après ses débuts artistiques, la chanteuse de jazz américaine Robin McKelle s’attaque au monument Fitzgerald avec beaucoup de passion et d’enthousiasme. Un projet fort qui succéda aux tourments vécus lors de la récente pandémie. Pendant ces moments difficiles, elle avoue même avoir ressenti une forme de nostalgie qui l’a projetée des années en arrière, vers ce swing qui avait illuminé et lancé sa carrière au mitan des années 2000. Alors c’est sûr, il n’y avait pas meilleur antidote et meilleur stimulant que le répertoire d’Ella Fitzgerald pour répondre à ses attentes et finaliser son tout dernier projet en date, le bien nommé Impressions Of Ella. On a souvent comparé Robin McKelle à la grande Ella et je ne sais pas si c’est un bien ou quelque chose de difficile à assumer pour une chanteuse qui a flirté avec pas mal de styles différents, allant du jazz à la pop en passant par la country et le R&B. Mais, l’expérience est là et la voix a mûri. Une maturité qui arrive au bon moment pour enregistrer ce disque et s’attaquer à cet immense challenge. Un travail de restitution qui n’est pas nouveau pour elle puisque son tout premier album Introducing Robin McKelle sorti en 2006 faisait déjà la part belle aux succès d’antan et aux voix de légende. Mais, aujourd’hui, Robin a voulu rendre hommage à celle qui lui a tant appris et qui s’est toujours nichée au plus profond de son être. Il est juste souhaitable que les inconditionnels de la « First Lady Of Song » puissent avoir la sagesse de ne pas tomber à chaque fois dans de délicates et inutiles comparaisons. Pour bien se rendre compte que l’interprétation n’empêche pas le respect, il suffit d’écouter « Old Devil Moon », le titre qui ouvre cet album. L’enregistrement d’Ella Fitzgerald de 1955 reflète un son et une atmosphère typique d’une époque qu’il serait ridicule de vouloir reproduire aujourd’hui. Au contraire, cette douce romance trouve ici un lustre et un éclat inespéré qui nous font redécouvrir cette magnifique chanson enfin habillée des plus beaux atours que la technologie actuelle est capable d’offrir.

Pour ce travail d’orfèvre, Robin McKelle s’est entourée d’un trio de choc avec notamment le pianiste Kenny Barron, bien connu pour avoir accompagné Dizzy Gillespie dans les années 60. La section rythmique est quant à elle assurée par Kenny Washington à la batterie et Peter Washington à la contrebasse. Trois musiciens prestigieux que Robin a accueillis sans crainte, mais avec la volonté de bien faire et d’être résolument convaincante. Et, je peux vous assurer que c’est le cas tout au long des onze titres que composent Impressions Of Ella. Dès les premières mesures de « Old Devil Moon » le temps est aboli et les références s’envolent pour ne laisser subsister qu’une voix (et quelle voix !) et la grande classe de musiciens en pleine démonstration de leurs capacités hors normes. La communion de Robin avec Kenny Barron est tout bonnement magique et sera l’une des grandes attractions de ce disque plein de charme. Maintenant, il n’est pas nécessaire de connaître par cœur le répertoire d’Ella Fitzgerald pour bien apprécier cet album. Au contraire, c’est l’esprit ouvert que l’auditeur novice prendra ce swing de folie en pleine figure. Même si la scène artistique d’après-guerre ne compte plus beaucoup de témoins vivants, cette musique raisonne encore au plus profond de nos gènes. Le revival actuel pour le jazz prouve qu’il existe une volonté de retourner vers des choses plus authentiques, débarrassées d’artifices et de passages obligatoires par la case pognon. L’enregistrement de Chris Allen au célèbre Sear Sound Studio de New York vous séduira, j’en suis sûr. Le ronronnement de la basse et la légèreté des percussions sont rendus avec une précision sans faille et le mixage de tous les éléments nous amène vers un confort d’écoute de grande classe. Pour être au plus près des musiciens, n’hésitez pas à faire l’expérience du casque, car c’est un véritable voyage hors du temps (et des pressions actuelles) qui vous attend.

Robin McKelle Impressions Of Ella Band 1

Cela dit, il ne faut pas oublier qu’il s’agit avant tout d’un album de Robin McKelle et que c’est à elle que revient toute notre attention. Elle s’est approprié les chansons d’Ella avec une autorité qui étonne et qui évite surtout de tomber dans une vénération excessive pour un modèle qui restera de toute façon inégalable. La quarantaine passée lui va bien et les paroles des chansons sont désormais à sa portée. Les relations déçues, voire impossibles (« Lush Life »), la douce nostalgie (« April In Paris ») ou les jeux amoureux (« Do Nothing Til You Hear From Me ») sont dès lors bien en phase avec le ressenti d’une personne devenue plus sage. Impressions Of Ella se déguste comme un bon vin, avec application et conscience de la majesté du travail bien fait. Les accents rétro sont parfaitement rendus, mais sans être trop nostalgiques pour autant. La musique de Impressions Of Ella est bien de son époque et ce neuvième album de Robin pète le feu, comme on dit. L’exemple de « I Won’t Dance » est flagrant. Cette fantaisie chantée en duo avec Kurt Elling nous rappelle que Robin parle très bien le français et sait tout aussi bien jouer la comédie. Ce standard écrit en 1934 par Jerome Kern et Dorothy Fields garde ici toute la pétulance et toute la magie qu’il avait lors de sa création pour la scène et le cinéma. Un grand moment de détente qui précède judicieusement un « Embraceable You » beaucoup plus poignant, pour ne pas dire pesant. Cette chanson écrite par les frères Gershwin est d’une telle sensualité que le poids des émotions nous emporte aussitôt et valide définitivement un quatuor magnifique de talent et de classe. D’autres bons moments sont à découvrir sur ce disque à la fois homogène et très varié. Je soulignerais peut-être l’innovante bossa d’« April In Paris », un titre sans doute cher au cœur de Robin, installée depuis une dizaine d’années du côté de Boulogne-Billancourt.

Robin McKelle Impressions Of Ella Band 2

Impressions Of Ella est bien plus qu’un album de reprises ou d’hommage. C’est le fruit du travail d’une artiste arrivée à maturité qui a senti que c’était le bon moment pour s’attaquer au répertoire d’Ella Fitzgerald. Sa musique et son interprétation vont directement au cœur et ne font pas injure aux prouesses de la grande dame du swing. La voix de Robin et le talent de ses musiciens vont certainement réjouir les amateurs de jazz vocal, mais pas seulement, du moins je l’espère. En écrivant cette chronique, je viens d’apprendre la disparition d’Astrud Gilberto, vous savez ? L’éternelle voix de « The Girl Of Ipanema » et je me dis qu’une disparition aussi douloureuse soit-elle n’empêche pas de regarder devant soi et de mettre quelques kopecks sur une relève d’aussi bonne qualité, Robin McKelle en tête.

https://robinmckelle.com/

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