Robert Finley – Hallelujah ! Don’t Let The Devil Fool Ya

Hallelujah ! Don’t Let The Devil Fool Ya
Robert Finley
Easy Eye Sound
2025
Thierry Folcher

Robert Finley – Hallelujah ! Don’t Let The Devil Fool Ya

Robert Finley Hallelujah! Don't Let The Devil Fool Ya

Robert Finley, accompagné de Christy Johnson, nous propose Hallelujah ! Don’t Let The Devil Fool Ya. Voilà la présentation exacte du cinquième album solo de cet étonnant Louisianais dont la carrière tardive ressemble d’assez près à une opération divine. Ne laissez pas le diable vous tromper, tel est le message qu’il nous adresse et qu’il développe tout au long des huit titres chantés en compagnie de sa fille Christy. Avant de décortiquer l’album, un petit retour sur le parcours hors du commun de cet artiste s’impose. Car, c’est vrai que l’histoire de Robert Finley n’est pas banale. Sans trop rentrer dans les détails, il faut savoir que ce fervent croyant a toujours ressenti les musiques gospel, blues et soul au plus profond de son être. Et que ce soit dans ses divers petits boulots ou même à l’armée, la guitare et le chant l’ont toujours accompagné comme un puissant moyen de s’adresser au Seigneur. Devenu presque aveugle, il s’est transformé en musicien de rue, jouant pour des pourboires et faisant l’admiration de tous. L’aventure aurait pu en rester là, mais c’était sans compter sur la perspicacité d’une Music Maker Foundation très clairvoyante. Cet organisme d’aide aux musiciens vieillissants permettra à Robert Finley de partir en tournée et d’enregistrer Age Don’t Mean A Thing (2016), un premier album qui, contre toute attente, rencontrera un joli succès. Il a alors 62 ans et peut entamer une carrière musicale inespérée avec, de surcroit, la surprise Dan Auerbach en aide précieuse. En effet, le guitariste des Black Keys a rapidement décelé un réel potentiel chez ce senior du blues. Une intuition qui se traduira par la production en 2017 de Goin’ Platinium, un second album synonyme de grand départ vers la notoriété. Conte de fées ou juste retour des choses, un peu des deux, je crois.

Toujours sous la houlette de Dan Auerbach, Sharecropper’s Son en 2021 puis Black Bayou en 2023 vont donc précéder ce tout nouveau Hallelujah ! Don’t Let The Devil Fool Ya illustré par un emballage sans équivoque. C’est vrai que la pochette est belle. Les mains sont jointes et les attitudes sont tournées vers un recueillement à la sincérité touchante. Je sais bien que la mise en avant de telles images est particulièrement sensible aujourd’hui. Il est dit qu’il faut privilégier la laïcité, mais tous ceux qui se sont intéressés, un jour ou l’autre, à la culture blues ou gospel savent très bien la place qu’occupe la religion dans ces deux courants musicaux. De mon côté, je ne ferai aucun prosélytisme, ce n’est pas le but, je m’en tiendrai uniquement à la musique, mais sans pour autant minimiser la portée des paroles. Et la tendre confession de « I Wanna Thank You » n’y va pas par quatre chemins. Malgré les aléas de la vie, Robert tient à remercier Celui qui l’a aidé quand il était au plus bas. Des épreuves surmontées certes, mais qui seront toujours exprimées dans la douleur et la foi. Techniquement et musicalement, son gospel (Godspell) n’en est pas vraiment un. Ce premier titre est surtout imprégné d’un groove obsédant qui prend l’auditeur aux tripes et lui permet d’adhérer aux textes sans qu’il soit question d’une quelconque appartenance. Et puis, la magie Christy fait le reste. L’idée d’inviter la propre fille de Robert Finley à partager le micro est à coup sûr une des grandes attractions de cet album.

Robert Finley Hallelujah! Don't Let The Devil Fool Ya Band 1

Que ce soit en duo, en réponse ou en écho, ce mélange de voix possède quelque chose de fascinant. Un travail de production (Dan Auerbach, toujours lui) absolument génial qui donne une force encore plus profonde aux paroles. En toute honnêteté, c’est la première fois que j’assiste à une telle performance. « I Wanna Thank You » a permis aussi de mettre en évidence la guitare de Barrie Cadogan, le piano de Ray Jacinto ainsi qu’une paire rythmique de folie composée de Malcolm Catto à la batterie et de Tommy Brenneck à la basse. À l’écoute du disque, je me suis rendu compte que Robert Finley développait la même énergie et la même hargne rencontrées chez des artistes comme Taj Mahal, Richie Havens ou Screamin’ Jay Hawkins. Le genre de performance vocale capable d’enflammer les sept minutes d’un « Praise Him » d’anthologie. Ici le funk domine et l’attitude réservée de Christy agit comme un remarquable catalyseur d’émotion. Et si l’on rajoute à cela une section de cuivres (Jake Botta et Andrew Golden) directement envoyée par un messager des années70, nous voilà en présence de drôles de sensations rétro aux frissons garantis. À peine remis de ses émotions, « Holy Ghost Party » porte un coup de grâce fatal à l’auditeur déjà bien groggy. Plus rien n’arrête la marche en avant d’une musique funky, à la fois destructrice et enivrante. Le tempo saccadé, le chant habité de Finley et les réponses compatissantes de sa fille n’ont d’autre choix que de nous achever au nom du Saint-Esprit et de son irrésistible fête dansante. Les images d’envoûtement surgissent, les corps en transe ondulent et la passion rejoint la souffrance. Drôle de disque aux sortilèges nombreux et à la beauté quasiment surhumaine.

Les corps enfiévrés se calment et « His Love » arrive à point nommé pour leur porter secours et les amener dans une reprise de conscience bienfaitrice. Cela dit, la facette soft de Robert Finley est aussi puissante que ses harangues. Son langage affectif va droit au cœur et dévoile un autre aspect du personnage, plus complexe qu’il n’y paraît. Le chant est bien sûr important, mais il serait dommage de minimiser l’accompagnement musical, vraiment à la hauteur de l’événement. La guitare et les claviers sont ici de véritables outils d’agrément et donnent un relief très attractif à cette intense déclaration d’amour. Le parcours du professeur Finley est facile à suivre. Sur « Helping Hand », il sermonne son interlocuteur dans une jam très assurée qui trouve encore et toujours la délicate Christy pour l’épauler dans son rôle d’assistante dévouée. Je me répète un peu, mais ce travail père-fille est unique. Leurs joutes verbales valent réellement la peine d’être relevées et ne sont pas près d’être oubliées. C’est tellement vrai que lorsqu’on réécoute certains titres de Black Bayou, on se dit qu’il manque quelque chose. Retour en 2025 avec la déferlante « Can’t Take My Joy ». Voilà une chanson qui doit bien enflammer les planches. Le rythme s’accélère et tout le monde essaie de suivre. Quelle énergie ! Le chant, la guitare, la basse et l’orgue sont à fond dans un funk psychédélique qui n’aurait jamais dû s’arrêter et surtout pas, comme ici, de façon aussi abrupte. Dommage, mais je commence à être exigeant. La fin du disque approche et l’harmonica de Tim Quine assure l’obsédant tempo ferroviaire de « On The Battlefield ». Une cavalcade échevelée qui me fait dire que « Can’t Take My Joy » n’était pas réellement fini. Comme quoi, il suffisait d’être patient. Le dernier discours se nomme « I Am A Witness » et permet à l’album de s’achever dans le calme et la sérénité. Et moi aussi, je peux dire que j’ai été témoin d’un petit miracle d’humanité et de don de soi. Robert Finley vient de nous offrir son âme et son talent avec une œuvre pas comme les autres. Si comme moi, vous partagez ces impressions, je pense qu’il nous sera difficile de passer à autre chose, surtout musicalement. Enfin, momentanément. Ainsi va la vie.

Robert Finley Hallelujah! Don't Let The Devil Fool Ya Band 2

Robert Finley est un artiste à part. Et son dernier album, Hallelujah ! Don’t Let The Devil Fool Ya, l’est tout autant. En y repensant, son parcours me rappelle celui de la Cap-Verdienne Cesária Évora. Tous les deux possèdent ce que n’importe quel chanteur devrait avoir au plus profond de son être. À savoir, la foi en la musique et sa propension à réunir les gens. Et peu importe si le succès ne vient pas ou tardivement. L’essentiel n’est pas là. Sur cet album, Robert Finley converse avec son Créateur dans un gospel qui se transforme la plupart du temps en une démonstration funky absolument irrésistible. Que l’on soit croyant ou non, cette musique nous touche et quand on sait que le guitariste des Black Keys est aux manettes et que la propre fille de Finley assure un travail vocal tout à fait extraordinaire, on comprend mieux cette irrésistible attirance.

https://robertfinleyofficial.com/

 

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