Pyton : du stoner dégourdi près de la Volga
Pyton – What’s done is done (EP 2014), Castling (EP 2015)
Le stoner en rebute quelques-uns. Certains l’associent aux fumeurs de marijuana léthargiques, d’autres aux alcolos un peu bohèmes et aux rythmes lents. Et on ne peut leur donner totalement tort. Il existe néanmoins certaines formations tout à fait étonnantes qui remettent en question ce stéréotype, alliant le stoner traditionnel au classic rock (Black Sabbath, The Sword, Witchwood), greffant le stoner au psychédélique (Earth, Orange Goblin, Planet of Zeus, Amon Ra, Hungry Brains, Baroness) ou créant un genre plus rock, plus alternatif tel que la formation américaine Wildlights (qui vient d’ailleurs de mettre au monde un excellent album dans le genre, avec un petit je-ne-sais-quoi qui sent étrangement le rock british).
La présente chronique a pour but de faire découvrir le genre dans une optique renouvelée puisque le stoner, comme d’autres genres, tend vers l’évolution. Depuis quelques décennies, on voit un nombre significatif de formations stoner sur le marché de la musique underground. Bien sûr, très peu de celles-là aboutissent sur le grand marché de la musique à succès; le genre n’est pas assez enlevant pour les oreilles en constant besoin de rythmes soutenus du genre techno ou electro. On assiste néanmoins à l’essor d’un stoner intelligent et audacieux, parsemé de solos très convaincants et d’airs aisément mémorables. Parmi les groupes qui ont retenu mon attention ces dernières années, Pyton est probablement celui qui se démarque le plus des autres. Il y a dans leur musique une énergie du diable, un enthousiasme manifeste dans le jeu de ses musiciens, une amertume contagieuse qui donne le goût de s’allumer une clope ou deux, de décapsuler une bière et de crier à gorge déployer pour accompagner le chanteur à chaque refrain.
Dans la musique de Pyton, comme dans tout air de stoner, on sent la crasse, le son saturé et cancéreux des têtes d’ampli Orange™ (ou tout autre marque procurant un délicieux son « garage »); mais il y a plus. Contrairement au groupe de stoner moyen où on sent que le batteur va éventuellement laisser sa tête choir sur sa caisse clair (à force de taper mollement un rythme lancinant qui n’évolue presque jamais d’une chanson à l’autre), les musiciens de Pyton donnent plutôt l’envie de secouer de la tête et de crier : « encore ! ». Car derrière ce genre musical marginal et pas toujours séduisant, se cache parfois un dynamisme peu commun. Suffit d’écouter les pistes « The Light » et « Whisper », extraites de l’album « What’s Done Is Done » sorti en avril 2014, pour saisir toute la fougue de ce rock « tabagiste » (bah oui, écoutez la voix de n’importe quel chanteur de stoner et vous comprendrez l’allusion). Les solos de guitares y sont exquis, sursaturés de notes jouées en staccato et d’interminables « bends » ou portamenti (pour les puristes musicologues). Et ça, vous en trouverez très peu dans le stoner plus « conventionnel » (si convention il y a).
Pour des auto-productions, les deux albums en date du groupe originaire d’Ulyanovsk en Russie sont d’une étonnante qualité. Tout y est bien dosé. La guitare, très présente sur le deux EP actuellement disponibles, se marie parfaitement à une basse tonique très équilibrée, le son de la batterie sur « Castling », le dernier album du groupe, est remarquable et très authentique. Et la voix du chanteur, bien que rauque, est elle aussi impeccablement rendue et rendrait jaloux un vieux routard tel que Lemmy Kilmister ou un Kurt Cobain encore en vie (le produit fini des voix est ce qui fait généralement défaut au stoner, il est donc notable de féliciter le vocaliste de Pyton !).
Connaisseur du genre, il est rare que je m’extasie devant un album de stoner. J’apprécie certains morceaux, mais j’ai rarement l’envie d’écouter un disque bout à bout. J’ai pourtant dévoré avidement les deux EP du groupe russe. Certains artistes qui sortent du lot comme No Spill Blood, un groupe de stoner-techno irlandais, parviennent à me rejoindre de par leur ingéniosité et leur audace. Des classiques tels que le Black Sabbath des premières années d’Ozzy et les premiers albums de The Sword m’interpellent également. Or, il n’existe pas des milliers de formations stoner avec une énergie comparable à celle de Pyton, si ce n’est peut-être de Wildlights, un groupe stoner-alternatif émergeant qui n’en est qu’à son premier album. Je n’ai d’ailleurs que peu de reproches à faire au band russe, sinon que deux EP depuis 2014, c’est beaucoup trop peu. J’en veux encore !
Dany Larrivée
Chronique parue simultanément chez Daily Rock (Québec) et Clair & Obscur (France).