Piers Faccini & Ballaké Sissoko – Our Calling
Nø Førmat !
2025
Thierry Folcher
Piers Faccini & Ballaké Sissoko – Our Calling
Le label Nø Førmat ! me fait beaucoup penser à Gondwana Records, la maison de disques de Matthew Halsall. Même volonté d’unité artistique et même philosophie de rencontres. Deux univers semblables qui se transforment souvent en partage de cultures et en échanges de talents. On l’a vu récemment chez Gondwana et dans ces mêmes colonnes avec des musiciens du label venir prêter main forte à l’album Constellation de Caoilfhionn Rose. Et aujourd’hui, c’est au tour de Nø Førmat ! de réunir deux de ses plus éminents pensionnaires, les incontournables Piers Faccini et Ballaké Sissoko, pour la sortie de leur premier album en commun, le joliment nommé Our Calling. L’appel de deux oiseaux, posés sur une même branche et unissant leurs chants pour ce que l’on peut appeler un petit miracle de beauté et de communion. Le compositeur folk londonien Piers Faccini et le spécialiste malien de la Kora Ballaké Sissoko n’en sont pas à leur coup d’essai. Le pont musical unissant leurs deux continents s’est construit dès 2005 sur Tearing Sky, le deuxième effort solo de Piers, puis plus tard grâce à « The Fire Inside » et « Kadidja », deux chansons fondatrices, certainement à l’origine du long format d’aujourd’hui. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est qu’à chaque fois, ces deux artistes ont réussi l’exploit de marier leurs cultures sans les affaiblir ou les trahir. Celui qui écoute peut ressentir les ondes classiques de la musique folk anglo-saxonne de la même façon que les chaudes langueurs des accents mandingues. De la musique entièrement acoustique où la finesse des notes se fond naturellement dans la poésie des mots, sans aucun compromis ni facilité. Par ailleurs, il est important de souligner que l’album a été enregistré en seulement cinq jours à Paris et en direct live par Frédéric Soulard, l’ingé-son qui officiait déjà sur Shapes Of The Fall, le précédent ouvrage de Piers Faccini. Ces dix nouvelles chansons sont donc la preuve que l’amitié ne demande pas de gros efforts pour produire des fruits aussi beaux que profondément comestibles.
Pour bien profiter de Our Calling, il ne faut pas hésiter à s’abandonner. Et le meilleur moyen pour y parvenir est de se laisser porter par le balancement d’une musique à la grande richesse rythmique et harmonique. Piers chante merveilleusement bien (il me fait beaucoup penser à Nick Drake) et Ballaké égrène ses notes de kora avec une incomparable dextérité. Leur mariage est heureux et fera de cette ode à la nature un véritable enchantement. Le premier titre s’appelle « One Half Of A Dream » et cette moitié de rêve est en réalité une vraie présentation de tout ce dont Our Calling est capable d’offrir. La douceur de la musique, la poésie du texte et une volonté assumée de suivre les modes et traditions mandingues dans l’écriture. Et ce sont ces structures mélodiques tout à fait particulières qui relieront sans heurts l’Afrique à l’Europe. Avec « One Half Of A Dream », le bercement est communicatif et l’auditeur conquis sera vite pris d’irrésistibles ondulations. Le procédé est maintenant bien assimilé et « I Wanted To Belong » se drape pour l’occasion d’harmonieuses couleurs méditerranéennes, bien aidées en cela par une kora travestie en guitare flamenco. Côté visuel, les oiseaux de la pochette sont le plus beau symbole de cette réunion fraternelle, eux qui voyagent d’un continent à l’autre en se moquant bien des frontières. Au même titre que les graines emportées par le vent et qui ensemencent le monde sans distinction de lieu. Les chansons de Our Calling leur sont dédiées comme principale source d’inspiration.
Ce sont ces migrations qui ont suggéré les paroles de « If Nothing Is Real » où la fragilité et l’impermanence sont de mise. Encore une fois, un beau résultat musical qui finit par donner à la guitare folk et au chant de Piers des accents africains tout à fait crédibles. Seule la langue anglaise rappelle ses origines et ses influences. En revanche, « Mournful Moon » sera davantage « rock’n’roll » et marqué par une structure plus occidentale qui prendra sous son bras une Kora métamorphosée. À noter sur ce titre, la présence de Vincent Segal au violoncelle comme invité de marque sur ce disque plus varié qu’il n’y paraît. On le retrouve aussi sur le traditionnel italien « Ninna Nanna » transformé ici en véritable et convaincante litanie africaine. La deuxième face du vinyle commence comme la première par les ondoiements de « Borne On The Wind », un bel hymne à la nature, né de l’observation d’une alouette, bien connue pour ses incessants déplacements et dont le massif cévenol (où réside actuellement Piers) est l’un de ses nombreux habitats. Après un poignant « Go Where Your Eyes », lui aussi très flamenco, j’en arrive à « Shadows Are », pour moi la petite merveille de ce disque. En un peu plus de quatre minutes, Ballaké et Piers vont y déposer leur marque, chacun à leur tour, mais en parfaite complicité. Après un traditionnel et décoiffant solo de Kora, la magie folk chère à Piers va prendre le relai et déposer des harmonies musicales d’une grande beauté. En outre, les notes de guitare qui se répondent et qui donnent le tempo sont à elles seules une des attractions de cette deuxième partie de chanson. Difficile de faire plus beau. Il nous reste à déguster « North And South », un voyage empreint de blues profond et dont le rythme assuré par le guembri de Malik Ziad fera se lever une légère bourrasque bienfaitrice. Le disque se termine par « By Your Hand », une dernière chanson bien en phase avec les thèmes et les sonorités développées jusque-là et dont les derniers mots : Under your spell, I prayed (Sous ton charme, j’ai prié), ne pouvaient pas mieux faire écho à mon propre ressenti.
Au-delà de ses indéniables qualités musicales, Our Calling est un album intime dont le but est de nous faire découvrir ce que la passion, l’amitié et le talent sont capables de créer. Ce voyage en compagnie de Piers et Ballaké se révèle d’une grande charge émotionnelle et redonne foi en l’Homme. Tant que des artistes arriveront à produire ce genre de disque, il y aura toujours sur Terre des îlots de tranquillité où il fera bon accoster. Pour finir, je dirais que les chansons de Our Calling ne sont ni intellectuelles, ni dépassées ou donneuses de leçon, elles sont tout simplement universelles et se fondent dans notre patrimoine humain qui a traversé les âges et qui se transmettra encore de générations en générations.
https://piersfacciniballaksissoko.bandcamp.com/album/our-calling