Philip Norman – Paul McCartney
Robert Laffont
2017
Philip Norman – Paul McCartney
Traduit de l’anglais par Pierre Reignier
Paul McCartney. Rien que vous dire ce que ce nom évoque pour moi pourrait prendre des pages et des pages. Paulo, Macca, celui qui, dans toute ma subjectivité, est au-dessus de tous les autres, quelle que soit la saison, quelles que soient ses productions. Paul, c’est le prénom qu’aurait eu mon fils si j’en avais eu un. Nina, ma fille, porte en revanche le second prénom de sa fille Stella. McCartney, c’est le premier que j’ai vu sur scène, avec ses Wings, j’avais 14 ans. C’était à Paris, au Pavillon de Pantin (la tournée sera illustrée par le triple album Wings Over America). Imaginez, déjà vous voyez un groupe (au sein duquel figure Denny Laine) dans une grande salle noire de monde, et puis à un moment les lumières s’éteignent et le Paulo vous balance « Yesterday » tout seul à la guitare acoustique ! Wings, c’est la musique du générique de Live And Let Die, un des premiers films que j’ai vu au cinéma. Mais encore, Macca, c’est un voyage en Écosse, vers le Mull Of Kintyre, à moto ! Bien évidemment, je n’y trouvais pas le cottage des McCartney (ni le monstre du Loch Ness, d’ailleurs). C’est un passage à Abbey Road, un peu comme tout le monde (tout ça pour voir un passage pour piétons !)… Et c’est encore un autre concert mémorable, pour la première fois sous son seul nom, avec une belle brochette de musiciens (Hamish Stuart, Robbie McIntosh, Paul « Wix » Wickens, Chris Whitten, et bien entendu Linda McCartney) en 1989 pour la promotion de Flowers In The Dirt (The Paul McCartney World Tour donnera lieu à la sortie du live Tripping The Live Fantastic). McCartney, c’est un paquet de vinyles, de CDs, de vidéos regardées, de chansons gratouillées sur ma guitare… Et puis, signe ou pas, je suis gémeau, gaucher… chanteur et bassiste !
Alors, imaginez ma joie quand celle qui partage ma vie (et donc les peines aussi) a la riche idée de m’offrir cette biographie signée par Philip Norman et très bien traduite par Pierre Reignier. Un pavé de 876 pages, quand même ! Philip Norman, journaliste, est un spécialiste de la biographie de musiciens. On lui doit des ouvrages sur les Rolling Stones, Buddy Holly, Elton John, Mick Jagger, et bien entendu, John Lennon et The Beatles (Shout!, 1981). Comme il le rappelle lui-même au début de son livre, Norman n’a pas été tendre en parlant de Paul dans ses ouvrages sur John et sur les Fab Four. Il ne voyait alors que par Lennon et considérait McCartney comme un manipulateur sans réel talent…
Ce Paul McCartney n’est pas une biographie officielle. Paul n’y intervient pas. Il a juste donné son accord à Norman pour que celui-ci puisse interviewer certaines personnes proches de lui. Et ce que l’on comprendra tout au long du livre est avoué dès son prologue (p. 15) par Philip Norman : « Et en fin de compte – “And in the end”, comme il le chante en conclusion à l’album Abbey Road –, Paul a bel et bien donné tort à tous ceux, moi y compris, qui le dénigraient. » Et l’auteur de dérouler les domaines de l’éclatante réussite post-Beatles de Paul McCartney : le succès de Wings – comparable à celui des Quatre de Liverpool – ; la réussite de la gestion de sa carrière et ses investissements éclairés et juteux dans des catalogues musicaux qui ont assuré sa fortune ; l’exemplarité et la longévité de son couple avec Linda, ainsi que l’éducation de leurs enfants ; ses réussites d’artiste en général, dans le monde de la pop, mais également dans celui de la musique classique – son Liverpool Oratorio (1991) notamment, ou encore le magnifique et très haendélien Ecce Cor Meum (2006) –, de la peinture, voire même de la poésie. Si le décès de Linda en 1998 et surtout le mariage avec Heather Mills ont pu faire craindre le pire sur la tournure de la vie et de la carrière de Paul, celui-ci a su redresser la barre et continuer son chemin (ce « Long And Winding Road »). Adoubé chevalier par la reine, Sir Paul pourra sans doute finir ses jours vieux, antithèse parfaite de son incomparable frère et double quasiment inversé, John Lennon…
Ce qui est remarquable dans cette biographie, c’est que l’auteur n’y parle pas que de musique (ni que des Beatles d’ailleurs). On y côtoie la famille McCartney (de la figure tutélaire du père Jim, à Mary la mère trop tôt disparue – Paul a alors 14 ans –, en passant par la tante Gin et son frère Michael – évoqués dans la chanson « Let ’Em In » en 1976). Mais, c’est également la vie familiale avec Linda et leurs enfants (y compris Heather, la fille de Linda issue d’un premier mariage), les maisons et domaines, les choix scolaires, la vie en tournée, les choix culinaires (Paul et Linda sont devenus végétariens), et même la réussite professionnelle de Linda, que ce soit comme photographe ou comme femme d’affaires dans le domaine de la cuisine végétarienne. Une longue partie est également spécifiquement consacrée au mariage avec Heather Mills et aux affres terribles de la séparation et du divorce (p. 703-804). On y trouve également les problèmes judiciaires de Paul avec les autorités japonaises (et américaines) liés à sa consommation de marijuana, son passage dans les geôles nipponnes jusqu’à son retour triomphal dans l’Empire du soleil levant.
On y parle de musique évidemment. De celle des Beatles, mais aussi de celle de McCartney en solo ou avec les Wings (où Denny Laine en prend un peu pour son grade, à l’avantage du regretté Jimmy McCulloch). Ce qui transpire, c’est que Paul est un monstre de travail, mais aussi quelqu’un qui a d’énormes facilités. Autodidacte, ne lisant pas la musique, McCartney joue à peu près de tout (souvenons-nous du clip de « Coming Up » où on le voit à tous les instruments – basse, guitare, batterie, claviers). Mais Paul est également une formidable éponge qui apprend de ceux qui l’entourent (en cela, il doit beaucoup à George Martin).
Et, bien entendu, il est beaucoup question des Beatles (jusqu’à la p. 442 et l’histoire d’un appel que Paul ne donna pas à John…). Philip Norman a passé une partie de sa vie à encenser Lennon, qu’il considérait comme un génie, et à déconsidérer Paul. Dans ce Paul McCartney, l’auteur inverse presque les rôles. En tout cas, John y passe plutôt pour un dilettante, Paul pour un travailleur acharné. C’est surtout quand il s’intéresse à la fin des Fab Four que l’auteur renverse la table : non, ce n’est pas McCartney qui a provoqué la fin des Beatles. Paul a, a contrario, tout fait pour préserver le groupe.
Déjà, en ce qui concerne les affaires de gros sous, Paul voulait les confier à sa belle-famille, les Eastman. Mais John, appuyé par George et Ringo préféra Allen Klein – qui s’était occupé du business des Rolling Stones. Des années plus tard, les trois attaqueront Klein en justice, donnant raison à l’intuition première de Paul.
C’est Lennon qui manifesta le premier l’intention de quitter les Beatles (dès le 13 septembre 1969). Fort des prestations de son Plastic Ono Band, John l’annonça vertement à Paul lors de la réunion de signature du nouveau contrat avec Capitol (le 20 septembre) : « Tu comprends pas ! […] Je pars. Je veux le divorce comme j’ai divorcé de Cynthia. » (Cité p. 404.) Abbey Road n’était même pas encore sorti (il sortira le 26) ! Et que dire de cet album sur lequel la patte McCartney est patente, faisant de ce disque un mythe épatant – que d’aucuns considèrent, non sans raisons, comme meilleur que Sgt. Pepper…
Paul sera également le dernier à publier un effort solo. John a déjà sorti des singles, une élucubration ridicule avec Yoko Ono (Unfinished Music, No1: Two Virgins, 29 novembre 1968) et un album live – Plastic Ono Band, Live Peace In Toronto, 19 décembre 1969. Harrison a dégainé le premier avec Wonderwall Music (1er novembre 1968), puis Electronic Sound (9 mai 1969). Même Ringo a précédé Paul avec son Sentimental Journey (27 mars 1970). Paul attendra le 17 avril 1970, soit quelques jours avant la sortie de Let It Be, pour publier McCartney. En l’annonçant à la presse le 10 avril, il scelle la fin des Fab Four que le Daily Mirror titre (cité p. 420) : « PAUL QUITTE LES BEATLES. »
Let It Be qui sortira quelques jours plus tard (8 mai) sera un relatif succès, malgré les avis divergents des journalistes spécialisés et des fans – souvent en raison du « travail » (sic) fait par Phil Spector sur les bandes confiées par John et George, là encore en désaccord avec Paul. Celui-ci rectifiera bien des années plus tard (2003) en publiant un Let It Be… Naked débarrassé des lourdeurs spectoriennes (réécoutez l’incroyable « nouvelle » version de « The Long And Winding Road »). En attendant, McCartney sera un succès (n° 1 aux États-Unis), précurseur d’une carrière solo flamboyante…
On gloserait – et l’on épiloguera – encore pendant longtemps sur The Beatles, John Lennon ou Paul McCartney. En attendant, la lecture de cette passionnante biographie remettra certaines pendules à l’heure sur la place de Paul dans le plus célèbre groupe de musique du monde. Philip Norman nous propose des pistes pour situer McCartney dans le monde de l’art en général, mais également dans le monde tout court, démythifiant quelque peu la star pour dévoiler quelques parts – même celles cachées dans l’ombre – de Sir James Paul McCartney. Hats off!
Henri Vaugrand
J’ai toujours pensé la même chose que toi à savoir que Lennon était un dilettante provocateur stérile alors que Paul, un génial bosseur. C’est une idée que je me suis faite sans avoir spécialement lu sur le sujet (ta chronique ci-dessus me conforte donc dans cette idée) mais rien qu’au regard de la production solo contrastée post Beatles. En fait, c’est presque mathématique pour moi: j’ai 4 vinyles de Paul et zéro de John ! (par goût et non par choix délibéré).
John était dilettante et provocateur, mais certainement pas stérile. Comme compositeur, il était capable d’être génial. Comme interprète également. Pour ne citer que ceux-là, des titres comme « Jealous Guy », « Whatever Gets You Thru The Night », « Mind Games », « Cold Turkey » sont là pour en attester (sans parler de ce qu’il a composé pour les Beatles, avec ou sans Paul).
Il est évident que ma propre discothèque est abondamment remplie d’albums de Paul, mais la nouvelle de la mort de John m’a cloué sur place un matin dans la cour du lycée… Il me manque toujours autant. Heureusement, Paul est toujours là…