Novembre – Ursa
Novembre
Snapper Music
Voilà une bien drôle de créature…. Novembre, une formation italienne qui donne dans le doom-metal prog atmosphérique. À mi-chemin entre le gothique de Paradise Lost, Anathema, Katatonia, Dark Tranquility et le shoegaze le plus typique. En fait, il me semble tout bonnement impossible d’accoler une étiquette à ce groupe. Et je crois bien que les quelques musiciens de Novembre n’ont eux-mêmes que peu d’intérêt à être classifiés. On comprend bien, à l’écoute d’un seul morceau, que le soucis premier de Novembre est de se laisser aller, de se laisser guider par cet élan créateur, cette inspiration mélomane dont certains répriment les pulsions pour se normaliser auprès du public.
Novembre, c’est une hydre à laquelle se greffe un nombre impressionnant de têtes. En effet, la musique de Carmelo Orlando est pluricéphale. Dans sa structure, celle-ci est principalement progressive, les pièces s’étirent et mutent, prenant naissance plutôt simplement, depuis un air généralement aérien pour changer de peau et se faire plus rude pour finalement retrouver sa matrice, c’est-à-dire le début du morceau. Résumée ainsi, l’anatomie musicale de Novembre n’impressionnerait pas. Mais il est difficile de décrire fidèlement de quoi il en retourne. La mécanique de cette musique est tout simplement unique et fort complexe. D’autant plus qu’elle n’est conçue que par un seul esprit (bah oui, Massimiliano ne fait pas partie de l’aventure de composition cette fois-ci). Bon, un nombre impressionnant de musiciens a fait escale au sein du groupe depuis sa formation en 1990, mais ça ne semble pas coller… Ursa, c’est Orlando… et les autres. C’est comme un groupe mené par Dave Mustaine et « les autres » nommé Megadeth (groupe qui pourrait s’appeler plus adéquatement « Mustaine » ou « The Dave Mustaine Nuclear War Band ») ou un projet de Dani Filth & His Slave Musicians faussement intitulé « Cradle Of Filth ».
En fait, cette musique est tout bonnement un tour de force ! Rien n’y est forcé, rien n’est précipité. Tout est fluide, en délicatesse, en progression comme le déversement continu d’un ruisseau à une rivière, d’une rivière à un lac, d’un lac à fleuve, d’un fleuve à un océan, sans fracas, sans cassure, sans brusquerie. Et pourtant, c’est ce que s’évertue à faire toute formation de musique progressive. Mais je ne sais pas, il y a quelque chose dans cette façon d’amener une mesure vers l’autre qui n’a pas son pareil (et j’en connais un rayon au royaume du prog !). Je n’ai découvert d’approchant que l’album Death’s Design de Diabolical Masquerade. Et là encore, la comparaison ne tient pas la route, car le projet solo d’Anders Nyström alias Blakkheim est plutôt violent et plus près du death progressif que du shoegaze-gothique prog de Novembre (ah, nouvelle de dernière minute : ma comparaison n’est pas si boiteuse, car il semble que le mec ait collaboré à Ursa en ajoutant sa touche à la piste « Annoluce »). Et puis, de tout façon, qui mêle shoegaze, post-rock, prog metal, death, gothique et doom sous un seul et même plan ? Nommez-m’en…
Outre mon étonnement devant cette nouveauté stylistique, force m’est d’entrer avec mes écarteurs dans la carcasse de l’album Ursa, le dernier rejeton de la formation romaine, pour en extirper les viscères, le cœur et l’esprit. Quel chef-d’œuvre, quelles ambiances, quelle poésie auditive ! Les harmonies vocales d’Orlando mènent la parade, servant de canevas plutôt que d’ornement. Et là encore, il me semble que l’on ait rarement vu pareille chose. Quant à la guitare, elle aussi composée et exécutée par Orlando, on la sent ne faire qu’un avec les voix. Sur ce point, il n’est pas étonnant que Peaceville Records ait été intéressé à endisquer (comme on dit au Québec !) le groupe depuis Materia (2006) puisqu’il semble bien que ce soit cette même fusion voix/guitares qui avait menée la fameuse maison de disque à prendre Paradise Lost sous son aile par le passé.
Maintenant, est-ce que j’ai personnellement un morceau préféré pour vous mettre en appétit… Ma foi, je ne sais pas. C’est un album qui s’écoute dans sa totalité, d’une pièce à l’autre sans interruption, sans changement à l’ordre des morceaux – d’ailleurs la réalisation du disque tient carrément du génie quand on constate l’enchaînement et la cohésion entre chaque pièce. En fait, si, « Umana » est probablement mon titre préféré parce qu’il exprime et démontre tout le talent et l’ingéniosité de Novembre en quelques mesures. Le côté shoegaze/post-rock qui me plait tant y est exploité avec brio, ne laissant place au death/doom prog que le temps de quatre ou cinq mesure, le temps de laisser la catharsis faire son œuvre, le temps au fiel de quitter le sang passionné de ses musiciens. Mais il y a aussi « Easter », pour son ambiance doom à la fois sombre et passionnée. Parce que cette dernière est douce comme le velours d’un cercueil (vous voyez ce que je veux dire !).
Enfin, il m’est inconcevable de trouver un défaut à cet album, ni même à la musique de Novembre en général. J’y trouve tout ce que j’aime, et à profusion. Une poésie profonde, une violence temporaire et acidifiante par moment, une virtuosité qui conjugue le plus doux et le plus éthéré des genres (le shoegaze) au plus chtonien, aux plus sous-terrains des styles métal (le doom et le gothique). Et tout y est dosé, amené sans vouloir convaincre à tout prix. C’est une musique intègre et complète (on trouve même du saxophone dans la pièce « Océans Of Afternoon », que demander de plus !). Voilà…
Si je peux toutefois émettre une petite réserve personnelle, j’apprécie encore davantage l’album The Blue, un opus quasi-divin. Mais Ursa n’en est pas moins appréciable. Il s’agit de deux albums distincts pour lesquelles on peut se prendre d’affection. Et cela dit, cette légère préférence pour l’album de 2007 n’est pas soulignée pour déprécier le nouveau disque de 2016. Au contraire, je vous fait mention de cet album passé parce que si le petit dernier de Novembre vous a plu, The Blue risque de vous faire tomber à la renverse.
Dann ‘the djentle giant’
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Également disponibles :
- Wish I Could Dream It Again (LP, Polyphemus, 1994)
- Arte Novecento (LP, Polyphemus, 1996)
- Classica (LP, Century Media, 2000)
- Novembrine Waltz (LP, Century Media, 2001)
- Dreams d’Azur (LP, Century Media, 2002)
- Materia (LP, Peaceville, 2006)
- Memoria Stoica (single, Peaceville, 2006)
- The Blue (LP, Peaceville, 2007)
- URSA (LP, Peaceville, 2016)
Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (Paris) et Daily Rock (Québec)