Nick Mason’s Saucerful Of Secrets – Live At The Roundhouse
Legacy Recordings
2020
Thierry Folcher
Nick Mason’s Saucerful Of Secrets – Live At The Roundhouse
La belle surprise ! Le chaînon manquant ! Un concert historique ! Voilà les premières impressions qui viennent à l’esprit après avoir visionné cette prestation captée en mai 2019 au fameux Roundhouse de Camden Town (quartier branché de Londres). Et puis, la preuve par 9 ou par 1000 que Pink Floyd possède une histoire bien plus complexe que celle entretenue par les deux pièces maîtresses du groupe. Alors, c’est le troisième larron restant, ce cher Nick Mason, batteur de son état qui nous la révèle ou plutôt, nous la dépoussière merveilleusement. Cela faisait déjà un bon moment qu’il tournait autour du pot ne sachant comment participer, lui aussi, à la grande messe psychédélique jusqu’alors réservée à la paire Waters/Gilmour. Et c’est entouré d’une bande de potes et de façon tout à fait légitime qu’il va monter ce projet destiné à revenir sur les origines de la formation et faire revivre sur scène certains passages des sept albums qui ont précédé la sortie de The Dark Side Of The Moon en 1973. Le choix de cette salle mythique n’est pas anodin puisqu’elle fut un temps le siège de l’UFO Club qui offrit, à partir de 1967, les premiers gigs au Pink Floyd naissant. A propos de ces nouveaux concerts labellisés Nick Mason’s Saucerful Of Secrets, Guy Pratt, le sautillant bassiste de la bande, avoue avoir vécu un délicieux voyage dans le temps en compagnie du tout jeune Nick Mason essuyant ses baguettes sur une musique qui allait fasciner la terre entière. Et c’est vrai qu’il fait plaisir à voir l’ami Mason. On a l’impression qu’il couve du regard ses partenaires et ne peut s’empêcher d’échanger des sourires complices. Tout l’inverse du Us + Them de Roger Waters et de son ambiance tendue. Je ne sais pas vous, mais au-delà des indéniables qualités audio-visuelle, c’est une grande impression de malaise que j’ai ressenti en regardant ce concert. Sur scène ce n’est pas la franche rigolade (à commencer par le pauvre Jonathan Wilson, absolument tétanisé) avec un Waters sans nuance plus prédicateur gourou que réel dénonciateur. Une harangue pompeuse qui finalement loupe sa cible.
On revient vite dans cette magnifique salle du Roundhouse autrefois destinée au triage des locomotives. Un décor rétro/futuriste genre Steampunk qui se marie à merveille avec les échos d’une musique innovante qui allait marquer définitivement la fin des années 60 et toutes les décennies à venir. La setlist est édifiante. Quasiment du jamais ou peu joué sur scène et pour certains titres, une vraie découverte (« Vegetable Man », « Point Me At The Sky »). Les fans purs et durs de Pink Floyd ne seront pas déroutés, ils connaissent et chérissent au plus au point cette période fondatrice. C’est plutôt les habitués des « grands succès » post Obscured By Clouds (1972) qu’il faut prévenir. Il n’y a ici que très peu de solo à rallonge et d’atmosphères planantes. C’est un groupe de rock bien carré qui restitue et parfois renforce un répertoire ancien plus rentre dedans et plus immédiat dans sa structure. Cela dit, sur certains titres, on sent poindre les premières touches d’une écriture qui allait faire le succès de la formation londonienne (le symphonique « Atom Heart Mother » ou le fulgurant « One Of These Days » notamment). Quoiqu’on en dise, j’ai toujours aimé le style de frappe de Nick Mason. Un toucher aux antipodes de la hargne de Keith Moon ou de la lourdeur de John Bonham. Un geste ample, précis et sans fioriture, d’une facilité apparente mais ô combien délicat à mettre en place. La musique du Floyd ne pouvait trouver meilleure rythmique que ces coups de baguettes en suspension fabriquant ce tempo si souvent copié. Le show qui nous intéresse est d’une qualité irréprochable. Le son est percutant, les parties vocales convaincantes et l’ambiance psychédélique magnifiée par un jeu de lumière éblouissant (dans tous les sens du terme). Aux côtés de la rythmique Mason/Pratt, les Saucerful Of Secrets se composent de Gary Kemp, guitariste de Spandau Ballet (oui, vous savez les tristes sires des années 80 auteurs du tubesque « True »), de Lee Harris, un temps guitariste chez les Blockheads du regretté Ian Dury et enfin du claviériste Dom Beken (The Orb, Transit Kings).
Tout ce joli monde se lance à corps perdu dans la résurrection d’« Interstellar Overdrive » et d’« Astronomy Domine », les deux titres emblématiques de The Piper At The Gates Of Dawn (1967). Un démarrage pied au plancher qui met l’accent sur les intentions du quintet de vouloir privilégier l’énergie et la force de frappe. Les guitares sont saturées, les compositions plus tranchantes qu’à l’origine mais toujours marquées de ces accords renversants et inoubliables. Un coup de poing magistral que reçoit un public déjà conquis et bien resserré autour des musiciens. On parle alors de rock’n’roll et de punk attitude bien avant l’heure (« Lucifer Sam », « Vegetable Man »). Le calme revient (« Fearless ») et le show fait rapidement un bond dans le temps avec l’enchaînement atmosphérique « Obscured By Clouds/When You’re In » comme preuve de la cohérence entre les époques. Ici, les bidouillages électroniques sont présents et la partition devient plus expérimentale. En fait, tout le concert va jongler avec les sons percutants de la jeunesse et les prémices des grandes œuvres du futur. Petite parenthèse sur la présentation du DVD/Blu-ray. Lors du visionnage, vous avez le choix entre regarder le film de James Tonkin dans son intégralité incluant des images d’archives et des interviews aux passages sur scène ou bien se taper le concert non-stop. Même s’il n’y a pas de sous-titrage en français, je vous conseille la première option. Le montage est super bien fait et à aucun moment on ne perd le fil de l’événement. Au contraire, ces petits bouts d’images anciennes sont particulièrement émouvants et feront un bien fou aux plus anciens d’entre-nous. J’étais encore très petit à l’époque, mais ces sonorités nouvelles avaient déjà squatté mes oreilles d’enfant pour ne plus jamais en ressortir.
On continue avec l’incontournable « Arnold Layne » sorti en single en 1967 et complètement restauré sur la scène du Roundhouse. Une offrande au public de 2019 comme témoignage vivant du talent de Syd Barrett. Un petit tour par la musique du film More (1969) avec le très hard « The Nile Song » et surtout le magnifique « Green Is The Colour », un titre à la mode folk U.S. superbement chanté par Gary Kemp. Ici, la basse de Guy Pratt est à l’honneur tout comme sur « Let There Be More Light » où il arbore un magnifique instrument digne de ce musicien, accompagnateur du Floyd sur scène depuis plus de trente ans. Ensuite vont s’enchaîner « Childhood’s End » de Gilmour et « Set The Controls For The Heart Of The Sun » de Waters, comme pour montrer de façon flagrante la part de chacun d’eux dans le son Pink Floyd des monuments à venir. Une étude archéologique digne d’intérêt qui offre avec « STCFTHOTS » (c’est plus simple) un des grands moments de ce concert. « See Emily Play » et « Bike », deux pièces popisantes de Syd Barrett vont s’intercaler pour un peu plus de légèreté avant le déclenchement tumultueux de « One Of These Days ». Pas le temps de s’ennuyer, on passe d’un registre à l’autre avec une cohésion bluffante tout à l’honneur de ces Nick Mason’s Saucerful Of Secrets vraiment au top. La représentation se termine tout en symbole avec l’expérimental et grandiose « A Saucerful Of Secrets » juste devant « Point Me At The Sky » sorti uniquement en single en 1968 et offert comme un dernier cadeau.
Même si j’apprécie et continue à suivre les aventures de Roger Waters et de David Gilmour, il faut bien avouer que leurs prestations scéniques frisent un peu la redondance. C’est pour cela que ce Live At The Roundhouse fut une surprise rafraîchissante que tous les fans de Pink Floyd et de Syd Barrett ont su apprécier à sa juste valeur. C’est tout un pan d’histoire qui reprend des couleurs et trouve pour l’occasion un nouveau public. Beaucoup de spectateurs présents en 2019 au Roundhouse n’étaient certainement pas nés quand les Barrett, Gilmour, Mason, Waters et Wright se sont lancés dans cette épopée qui allait changer radicalement la face de la musique populaire. Des premiers pas incertains mais indispensables pour construire une œuvre éternelle. Bravo Monsieur Mason et merci. Je me suis régalé.