Nick Gardel – Mal placé
Nick Gardel – Mal placé (2015 Friends Only)
Cette année se fête le trentième anniversaire du chef d’œuvre musical Misplaced Childhood du groupe britannique Marillion. Alors que leur ancien chanteur, Fish, sillonne l’Europe pour proposer un concert articulé autour de la restitution de cet album conceptuel d’envergure, d’autres préfèrent rendre hommage à ce disque culte en éditant un polar dont l’intrigue semble suivre les méandres touffus d’une quête identitaire, celle de Peter Raven (Peter le corbeau), jeune homme aux prises avec un passé difficile à oublier. La trame du roman propose donc, en filigrane, une relecture d’une autre recherche, psychanalytique celle-là, élaborée alors par Fish lui-même, qui cherchait ainsi à renouer avec William Derek Dick, phagocyté petit à petit par ce monstre de foire qu’était devenu le leader de cette formation de rock progressif au succès alors gigantesque. Schizophrénie, paranoïa, angoisses et rédemption figuraient au menu des dix pistes parfaites de cette galette qui marquait l’apogée créatif de ceux que l’on a trop vite taxés de clones de Genesis. Alors comment Nick Gardel, auteur de plus d’une dizaine de textes narratifs mêlant intrigue policière et clins d’œil musicaux, allait-il proposer une relecture de cette « enfance déplacée » ?
Tout d’abord, signalons que l’auteur n’en est pas à son coup d’essai puisque sa marque de fabrique semble être la dispersion d’indices musicaux dans des récits noirs de facture plutôt classique. On se souvient de Musical Box (2014) au titre renvoyant à l’imaginaire de l’antique Genèse, discuté sur ce site, ou de Nevermore (2012) aux multiples allusions progressives (IQ, Genesis, Alan Parson Project ou, déjà, Marillion).
Ensuite, force est d’avouer que la lecture de ces (presque) trois cents pages comblera davantage le mélomane passionné de rock progressif, voire l’amoureux fanatique de la bande d’Aylesbury, que le lecteur assidu de Georges Simenon, Sjöwall et Wahlöö ou autres Arnaldur Indridason. La faute à une langue souvent stéréotypée, qui cherche tellement à créer une connivence humoristique avec le lecteur qu’elle peut en devenir un brin pataude. Quand elle n’est pas carrément asyntaxique. Et c’est un problème que l’on retrouvera malheureusement dans quantité d’ouvrages édités à compte d’auteur (ce qui est le cas pour Mal placé) ou même parus dans des maisons d’édition connues (à défaut d’être toujours reconnues) comme Camion blanc. La relecture par des professionnels ne peut décidément pas constituer une étape facultative. Ces fautes d’orthographe, de ponctuation ou de grammaire, si elles ne parviennent naturellement pas à détacher le lecteur de sa tâche, laissent malheureusement un goût amer d’amateurisme qui ne sied pas au projet ambitieux de son auteur.
Car de l’ambition, il y en a à revendre dans cet ouvrage malicieusement architecturé. Le Graal de Peter, son moteur, reste la connaissance de son père, de la figure du Père en même temps que la compréhension de ses pairs qui pourrait, enfin, l’extraire de sa gangue de marginalité mâtinée de neurasthénie. L’objectif de Fish, quant à lui, était autre : il cherchait à redécouvrir l’enfant caché en lui, qui avait hélas disparu. Ces deux itinéraires opposés mèneront cependant nos deux Lancelot des temps modernes à circuler le long d’une semblable piste cyclable que l’on appelle communément la vie.
Le texte de Nick Gardel regorge de citations plus ou moins cryptées que le mélomane avisé reconnaîtra sans peine (une pie, une plume blanche, un kimono en pseudo-soie, ça ne vous rappelle rien ?) Chaque chapitre – il y en a dix-huit en tenant compte de l’épilogue – porte le titre d’un morceau de Misplaced Childhood. Et chacun d’eux se termine par une phrase (traduite dans la langue de Molière) empruntée au texte d’origine. Un bel exercice de style à défaut d’être une réussite indétrônable. Dans le genre, les travaux de l’Ecossais Ian Rankin ou de l’Anglais Nick Hornby offrent des écrits autrement plus émouvants. Mais tel n’était pas là le but de Nick Gardel, artisan culturel sans ego, aux passions vives et communicatives.
Sachons apprécier la simplicité de l’offrande sans trop écorcher la démarche. De peur que celles-ci disparaissent aux profits d’encore plus de parallélépipèdes rectangles (comment nommer l’inommable ?) de « stars » de la télé. On deviendra forcément moins exigeants quand on n’aura plus que les autobiographies de Benjamin Castaldi ou de Roger Federer à se mettre sous la dent.
Christophe Gigon