Neil Young & Crazy Horse – Toast
Reprise Records
2022
Fred Natuzzi
Neil Young & Crazy Horse – Toast
On ne sait plus où donner de la tête. Neil Young sort des albums de ses archives en rafale. Suffit de tourner la tête et hop, vous avez trois ou quatre concerts qui sortent. Comme ça. Sans rien demander. Parce que cela fait maintenant un moment que Neil nous abreuve de superbes live enregistrés la plupart du temps pendant son âge d’or, les années 70. Et, oui, la qualité est toujours là, mais finalement, à force de sortir des concerts d’une même période, tout cela devient répétitif et on se retrouve avec les mêmes morceaux d’un live à l’autre. En témoignent d’ailleurs les dernières sorties, Royce Hall 1971, enregistré le 30 janvier 1971, et Dorothy Chandler Pavillion 1971, enregistré le… 1er février 1971. Euh, Neil, tu n’exagères pas un petit peu là ? Même set list sauf un titre (en moins) sur un des deux concerts. À réserver donc aux collectionneurs les plus assidus qui voient progressivement tous leur bootlegs dépoussiérés. Plus intéressant, le concert du 16 mai 1974, Citizen Kane Jr. Blues où l’on retrouve de futurs titres de On The Beach. Une joie pour les oreilles. Outre les Original Releases Vol 4 où ce sont trois albums des années 80 qui ressortent, Hawks & Doves, Re-Ac-Tor et This Note’s For You (à noter que les albums chez Geffen sont laissés de côté), il y a aussi le fameux E.P Eldorado qui préfigurait la sortie de Freedom et sorti uniquement au Japon, avec deux titres inédits. Vous en vouliez encore ? Mais bien sûr ! Vous reprendrez bien un petit live ! Cette fois-ci, nous avons droit à quelque chose de beaucoup plus récent puisque Noise & Flowers a été enregistré avec Promise Of The Real en 2019. Enfin un peu de nouveauté, si je puis dire, puisqu’on y trouve pour la première fois une version électrique jouée en groupe de « On The Beach ».
Et puis, il y a cette surprise, cet album « oublié », encore un ! Enregistré en 2001 avec Crazy Horse, Toast (du nom du studio de San Francisco où il a été enregistré) contient sept titres dont seulement trois sont inédits. Il n’empêche que Toast est d’une grande cohérence et il aurait été considéré comme un très bon album du Loner s’il était sorti à cette époque. À la place, c’est Are You Passionate ? qui verra le jour avec Booker T And The M.G’s et Crazy Horse en 2002. Un album qui avait surpris et peu convaincu, marquant ainsi la baisse d’inspiration du grand Neil. Certains auront voulu voir en Greendale, sorti en 2003, un regain de forme. Un album qui aura aussi divisé les fans, mais il fallait se rendre à l’évidence, le retour en grâce de Neil dans les années 90 allait avoir une fin. En attendant, de grands albums comme Ragged Glory, Harvest Moon, Sleeps With Angels, Mirrorball (avec Pearl Jam), Broken Arrow (même si celui-ci est sous-estimé) et le folk Silver & Gold venaient d’embellir une carrière déjà riche en pépites. Toast en 2001 aurait clôturé cette période en beauté, car on y retrouve les accents des albums précédents tout en marquant un tournant.
Alors pourquoi Toast a-t-il été relégué aux oubliettes par notre Loner préféré ? Eh bien, l’histoire fait écho à ce qui s’était passé pour Homegrown. Son histoire avec Pegi battait de l’aile et le disque, trop sombre, écho de ses tourments, était trop personnel. Impossible de le sortir et donc, Neil est parti sur son projet suivant. Pourtant, quatre de ces morceaux seront retravaillés pour Are You Passionate ?, l’album le plus « soul » de la carrière de Neil Young. Toast préfère naviguer entre blues et rock au son gras, bien plus convaincant (à mon sens) que les arrangements sophistiqués de Booker T. Crazy Horse fait des merveilles sur ce disque où la magie opère à plein régime.
« Quit » ouvre l’album et les paroles sont clairement axés sur la fin d’une relation, avec des gouttes de piano mélancoliques, des chœurs dépressifs, le tout sur un riff de guitare plutôt élégant et un thème triste, mais agréable à l’écoute. « Quit » se retrouvera sur Are You Passionate ? sous le titre « Don’t Say You Love Me ». Changement de souffle avec le son épique de Crazy Horse que l’on retrouvait sur les opus précédents. Young y chante comme sur Mirrorball et « Standing In The Light Of Love » s’impose de suite comme un grand morceau. Une sorte de « Like A Hurricane » revisité, avec les guitares qui crachent bien comme on aime. Puis, le gigantesque « Goin’ Home » de Are You Passionate ? se retrouve ici inchangé ou presque, avec une petite minute en moins au compteur. Voir d’ailleurs la fabuleuse performance de ce morceau en live en dessous de cette chronique ! On continue avec l’inédit « Timberline », du Crazy Horse classique, rien de neuf mais ça fait quand même du bien ! Par contre, « Gateway Of Love » et ses dix minutes s’invitent clairement dans le panthéon du groupe avec ses riffs de désert nouveau-mexicain. Une errance à base de soli de guitare habitée par la tristesse sous fond de rythme quasi latino. Robert Rodriguez aurait pu utiliser ce genre de titre dans son film Desperado ! « How Ya Doin’ ? » et son thème calme et mélancolique est fabuleux et profond tant à la guitare qu’au piano, les paroles de Neil sont aussi belles que tristes tandis que Crazy Horse soutient l’ensemble de main de maître. Paru ensuite sous le titre « Mr Disappointment », il sera raccourci et contiendra une partie parlée. Toast se clôt avec les treize minutes de « Boom Boom Boom », une jam réduite à neuf minutes sur Are You Passionate ? sous le titre « She’s A Healer ». Pas la plus intéressante des compositions du Loner, un blues répétitif un peu lassant.
Toast reste cependant l’un des meilleurs albums des années 2000 de Neil Young où l’on retrouve un Crazy Horse en grande forme et dans une profondeur rarement atteinte. L’apogée du groupe qui ne parviendra jamais plus à galoper aussi fougueusement. Je ne sais pas quels autres albums cachés, perdus ou enterrés dans le jardin Neil Young nous réserve encore, mais des comme ceux-là, j’en reprendrais bien !