Neil Young & Crazy Horse – Psychedelic Pill
Neil Young & Crazy Horse
Warner Bros Records
Neil Young n’en a plus rien à foutre. Neil Young veut marcher sur la plaine comme un géant. Neil Young a 67 ans et 46 ans de carrière. Neil Young a inventé le grunge, est devenu une légende de la folk et du rock. Neil Young a connu des tas de hauts et des tas de bas. La drogue, l’alcool, la perte d’être chers. Il a tout vécu. Il a vu le rêve hippie s’évanouir, le rêve américain se flétrir, l’économie faiblir, les désastres sociaux s’accumuler, les dangers pour la planète se multiplier…. La musique se transformer, s’épanouir dans de nouvelles technologies et le marché s’effondrer, à coup de téléchargements illégaux et de MP3 bas de gamme. Mais une légende, ça vieillit. Neil Young le sait. Après s’être remis d’un anévrisme au cerveau il y a 7 ans, il a décidé de publier ses archives avec pléthores d’inédits. Au passage, il écrit sa biographie, parue il y a quelques semaines. Puis il sort Fork On The Road en 2009, ode à la voiture et au voyage routier en Amérique. 2010, il expérimente en solo des chansons uniquement enregistrées à la guitare électrique, mâtinées de bidouillages électroniques signés Daniel Lanois sur Le Noise. En 2012, Neil Young réveille Crazy Horse, son groupe fétiche, et nous pondent des reprises du folklore US à la sauce country et blues, passées à la moulinette du « son » Young, garage et crade. Mais, ces albums, qui peuvent paraître anecdotiques, sont en fait, révélateurs de l’état d’esprit de Neil Young. Il est en colère contre la société, et il est nostalgique d’une certaine Amérique, d’un certain monde, dont les souvenirs ne peuvent lui masquer la dure réalité de sa vie de rockeur : le monde d’aujourd’hui n’en a plus rien à foutre. Neil Young aussi. Et il le prouve avec peut-être son meilleur album depuis près de 20 ans.
Enregistrées en même temps qu’Americana, les compositions de ce double album Psychedelic Pill reflètent bien sa nostalgie des décennies passées. Les paroles expriment sa colère contre le monde, avec des guitares tranchantes et sombres obscurcissant allègrement les paysages rock qui parsèment le disque, tels des soirs d’orage qui n’en finissent pas. Car oui, Neil Young n’en a plus rien à foutre. Il laisse les guitares s’épancher jusque plus soif, fait des morceaux qui n’en finissent plus, qui racontent ses souvenirs et sa manière de penser à qui voudra bien l’entendre. Crazy Horse galope métronomiquement, rythmique carrée, lourde, retentissante et sans pitié, et guitare rythmique acérée, 3 murs du son aussi légendaire que le chef Sioux Lakota du même nom, aux côtés du surfeur de riffs électriques tétanisants et entêtants. 8 titres pour plus de 90 minutes de déferlantes soniques, plus un bonus anecdotique.
Sur 8 titres, 4 sont instantanément des classiques. « Driftin’ Back » et ses 27 minutes improbables, au début acoustique superbe avant que le groupe ne parte en électrique dans ce morceau qui n’en finit pas mais ne lasse jamais. C’est sur ce titre plus particulièrement que Neil Young exprime son ras le bol dans des paroles assez ironiques. « She’s Always Dancing » ne dure que 8 minutes, mais le son Neil Young n’est jamais aussi évident que sur ce titre. « Ramada Inn », lui, s’étend sur 16 minutes et raconte la vie d’un couple d’une manière assez tragique. Guitares échevelées, rythmique d’enfer, classique mémorable. Puis le chef-d’œuvre « Walk Like A Giant », sur 16 minutes lui aussi, amère la vision d’un monde qui n’a pas pu être changé malgré les bonnes volontés des gens de sa génération. Guitares orageuses, distordues, criantes, atmosphères de tempêtes, reflets d’une rage intérieure, constats des déceptions de la vie.
Les 4 autres titres, beaucoup plus courts, sont typiques du Neil Young plus country, comme « For The Love Of Men », balade dédiée à son fils, « Born In Ontario », une ode à sa patrie natale , « Twisted Road » qui revient sur les musiques que Young écoutait dans les années soixante sur un rythme blues rock sympathique, et « Psychedelic Pill » plus rock avec effet psyché (forcément !), rappelle « Sign Of Love » sur l’excellent Le Noise en 2010. Le bonus : le même titre, mais sans les effets psychés ! Les meilleurs albums de Neil Young nous repassent en mémoire à l’écoute de celui-ci : Mirrorball, enregistré avec les membres de Pearl Jam en 1995, Broken Arrow, Ragged Glory, Rust Never Sleeps, et j’en passe. On n’est pas loin du meilleur album de Neil Young. Peut-être qui sait. Mais de toute façon, Neil Young n’en a plus rien à foutre.
Fred Natuzzi (9/10)
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