Moodie Black – Fuzz

Fuzz
Moodie Black
Fake Four Inc
2020
Jéré Mignon

Moodie Black – Fuzz

Moodie Black Fuzz

Comme objet mutant, Moodie Black se pose là. Son style, déjà, noise-rap aux antipodes de certains cadors du genre mais aussi dans sa nature même du fait du statut transgenre de sa charismatique (et chamanique) leader K-Death (aka Chris Martinez). Impossible d’occulter ou de le refréner, ce changement d’identité impacte forcément le style, le ressenti et les compositions de Moodie Black. Au début, je voyais le combo comme une histoire sordide. Un de ces récits comme seul James Ellroy peut les écrire dans l’alphabet le plus simple et cru. Une histoire qu’on s’imagine dans la moiteur, le sang, la mort, le sexe et la désillusion. Pourtant de l’atmosphère aussi neurasthénique que lourde d’un Nausea aux élans de déflagrations d’un Lucas Acid, acerbe et virulent dans un paradoxe savamment orchestré, Moodie Black joue au jeu des miroirs déformants, visages grimaçants et détours impromptus. L’identité se dilue, perd en substance et consistance, se questionne, devenant cette « autre chose », tel un parasite évoluant en fonction de son environnement. Lucas Acid avait déjà posé les bases de ce hip-hop hybride entre décharges industrielles noise et touches cold-wave directement inspirées du shoegaze (Slowdive, Sonic Youth) comme des Cure.

Moodie Black Fuzz Band 1

En toute logique, Fuzz déborde d’avantage du cadre, s’en libère, et assume d’avantage ses références qu’on aurait pu croire timides. Martinez, comme plus sûr de son statut ambivalent, embrasse pleinement ses références rajoutant une couche supérieure de cold-wave dans ses compositions. La guitare de Sean Lindahl se fait d’autant plus claire et limpide qu’elle accompagne dans ses brefs instants de saturations et de stridences frénétiques le regard d’une Martinez convulsée et pétrie d’angoisse. Le flow d’ailleurs se permet d’avantage de spoken-word sentencieux, zigzaguant sans cesse entre offensive et apesanteur jusqu’à l’usage d’un vocoder (« look me in my face ») pouvant même donner une texture limite synthwave dans ces moments les plus troublants. Fuzz est un album qui se découvre en clair-obscur, un rai de lumière qui passe et repasse inlassablement, découvrant un laps de temps ces visages tour à tour interrogateurs, concupiscents, troublés, haineux, anxieux ou tout simplement hypocrites avant de repartir dans les ténèbres aux rythmiques mouvantes, pesantes et industrielles ou pulsatives et outrancières, pouvant rimer avec tachycardies. Car il y a quelque chose de sanguin. C’est sentir le flux incessant à côté d’une fistule, imaginer une autoroute comme artère d’une mégalopole, tenir un poignet pour en sentir le pouls et de ne plus savoir où se positionner en tant qu’individu.

Moodie Black Fuzz Band 2

Moodie Black perturbe par les images qu’il convoque, il perturbe par ces accents shoegaze et texturales, il perturbe par son inflexibilité. Fuzz a tout d’une mosaïque ambiguë, aussi sale que léchée, tirée de l’imaginaire transformiste d’un Martinez en proie à ses démons. Tout s’y mélange dans un patchwork hybride. Échos du passé, observations absconses du présent et questionnement d’un futur absurde. Si Lucas Acid était une claque, alors Fuzz en est le revers pernicieux, se permettant de se conclure en traître dans un conglomérat d’accumulations et de sifflements abrasifs comme pour mieux laisser le blanc s’instaurer après l’écoute et laisser groggy et inapte…

https://www.moodieblack.com/

 

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