Mehdi Alouane – Hatred From My Inner Chaos
Mehdi Alouane
Hurricane Entertainment
« Hatred From My Inner Chaos » est le tout premier album de Mehdi Alouane, musicien, compositeur et arrangeur de talent actuellement basé à Lyon, et qui a débuté sa carrière artistique de l’autre côté de la Méditerannée. En premier lieu, le jeune artiste découvre la pratique de la batterie à l’âge de 18 ans, instrument de prédilection qu’il appréhendera au départ en parfait autodidacte en Algérie, son pays d’origine. Mélomane éclectique tout aussi passionné par le métal, le rock progressif, le jazz et la world music, son jeu sera fortement influencé par Manu Katché (dont on ne compte plus les multiples projets et collaborations sans frontières), Mike Portnoy (ex-Dream Theater) ou encore Stewart Copeland, génial batteur de The Police, dont l’empreinte est bel et bien présente à l’écoute de ce « Hatred From My Inner Chaos ». Mehdi Alouane fait ses premières armes en participant à divers groupes qui l’amèneront à se produire sur scène, que ce soit à l’occasion de concerts ou de festivals rock. Puis, le musicien vient parachever sa formation en France, où il étudie dans plusieurs écoles musicales, démarche qui lui permet alors de se perfectionner techniquement et de pouvoir enfin voler de ses propres ailes, en se consacrant à un projet artistique plus personnel.
« Hatred From My Inner Chaos » est le fruit d’un long travail perfectionniste entrepris par l’artiste, qui laissera s’écouler pas loin de deux ans pour laisser ses idées arriver à maturation, puis enregistrer les 10 compositions entièrement instrumentales de son premier opus. Il en résulte à l’arrivée une œuvre hybride dense, majestueuse, extrêmement bigarrée et riche de multiples influences souvent identifiables, mais conjuguées ensemble de manière à générer un univers musical assez unique en son genre. Ce premier album de Mehdi Alouane se révèle en effet d’une grande originalité (phénomène assez rare pour être souligné), un inclassable entremêlant résonances modernes empruntées au rock progressif, au psychédélisme et à la culture electro (ambient, chill-out ou trip-hop), avec de nombreuses sonorités traditionnelles orientales, où l’on découvre ici et là le martèlement du santour, les mélopées du luth oud ou encore le chant plaintif de la flute ney. A ces instruments samplés, s’ajoutent de nombreux enregistrements à base de voix en plusieurs langues, qui parsèment « Hatred From My Inner Chaos » pour en renforcer encore davantage l’impact résolument cinématique. Car c’est à une véritable immersion onirique et délicieusement envoutante (parfois inquiètante aussi) à laquelle Mehdi Alouane nous convie ici, quasiment seul aux commandes dans son studio, derrière ses fûts, ses claviers et autres machines informatiques, parfois secondé ici et là par Nadir Boubsil et Brian.K aux guitares et à la basse.
L’album s’ouvre avec « Never Ending (War) Story » et son titre qui ne trompe pas sur le tragique sujet qu’il dénonce. En effet, celui-ci est aussi chaotique que ce terrible et interminable conflit qui continue à sévir au Moyen-Orient. Une petite mélodie enfantine sur fond de parasitage radio est bien vite balayée par des nappes atmosphériques sombres, un collage de notes acoustiques aléatoires, de bruitages d’hélicoptère et de cloches annonciatrices d’un funeste destin, sur lesquelles vient se poser une rythmique jazz folle et syncopée (mais peut-être un petit poil sous-mixée). Cette pièce au climat étrange, entre sérénité et tourment, se termine en douceur, comme elle a commencée, avec cette comptine qui tente de redonner un peu d’espoir, malgré la noirceur du tableau et d’opacité de l’horizon. « All Hope Is Gone » poursuit dans une veine un peu plus mélancolique, avec son doux tempo electro, sa mélodie jouée au piano et ses arrangements de cordes amples et somptueux. Si l’aspect déconstruit, expérimental et hétéroclite du premier morceau pouvait évoquer les travaux surréalistes d’un The Orb ou d’un The Future Sound Of London, ici, ce serait plutôt du côté de Craig Armstrong et ses ambiances orchestrales futuristes qu’il faudrait se tourner.
« In the Haste Of The Event’ poursuit dans cette même veine cinématique, avant que la batterie ne s’emporte furieusement pour assener une rythmique rock on ne peut plus hypnotique, évoquant un peu les jams sessions groovy du Porcupine Tree de l’album « Metanoia » (1998), qui se verrait ici enrichit de nombreuses sonorités encore plus planantes et éthérées. Un morceau qui ravira à coup sûr les amateur de Steven Wilson et de son groupe définitivement culte, première période. Car même la guitare stratosphérique façon Pink Floyd ne manque pas à l’appel ! « Syndrome Of The Schizophrenic Needle » s’incrit dans ce même registre aux climats mouvants, avec toujours ces accélérations rythmiques innatendues et ces guitares traficotées, saturées d’effets, et embrumées de textures atmosphériques mutantes et ensorcelantes. Dans un registre plus « ambient », il convient de citer l’excellent « The Fall Of The King », agrémenté de séquences de basses électroniques qui ne sont pas sans rappeler celles, introductives, de l’énorme « In Your Room » de Depeche Mode, extrait du non moins gigantesque « Song Of Faith Of Devotion », son album de loin le plus rock et le le plus ambitieux.
Difficile également de faire l’impasse sur « Unwelcome Eternity », un titre passionnant et évolutif qui démarre par des chœurs célestes, pour glisser lentement vers la bande originale d’un film imaginaire qu’auraient pu co-signer ensemble Peter Gabriel (« La Dernière Tentation Du Christ »), John Murphy (« 28 Semaines Plus Tard ») et Mike Oldfield (« Songs From A Distant Earth »), avant de replonger au final dans une ambiance faite d’un jazz psychédélique hautement débridé ! Avec « Hatred From My Inner Chaos », disque complètement inclassable malgré les innombrables genres et sous-genres musicaux qui pullulent dans les sphères mélomanes, Mehdi Alouane crée la surprise et invente le « rock progressif immersif », étonnante fusion d’énergie, de textures, de sophistication et de stimulation de l’esprit !
Ce disque aussi jouissif que déconcertant dans le bon sens du terme n’est peut être pas facile à aborder au départ, mais une fois qu’il vous aura séduit et conquis (si vous prenez la peine de vous y laissez aller), il deviendra alors difficile de vous en détacher. J’espère pour ma part que ce premier essai ne restera pas sans suite, car si l’œuvre n’est pas exempte de défauts inhérents à un premier album (mixage pas toujours parfait, manque de puissance et d’authenticité sur les guitares électriques, fluidité approximatives sur certains enchainements), elle en impose vraiment de par son caractère novateur, surprenant, et résolument moderne. D’ici là, je souhaite vivement qu’avec « Hatred From My Inner Chaos », Mehdi Alouane arrivera à toucher le public le plus large possible. Car voilà bel et bien le plus grand défit de cet album qui transcende les étiquettes, ce qui est, artistiquement parlant, tout à l’honneur de son talentueux géniteur. Quoi qu’il en soit, voilà un artiste à suivre de très près !
Philippe Vallin (8/10)
Site web : http://www.myspace.com/mehdialouane7