Marillion – Made Again
Marillion
Raw Power/Castle Communications
Les albums live ont, de tout temps, occupé une place symbolique incontournable dans la touffue discographie marillionesque. Invariablement publiés à des périodes clefs de la carrière du quintette, tous ont accompagné et/ou entériné des phases plus ou moins agitées de transition artistique. Citons « Real To Reel », annonçant le passage en douceur du symphonisme échevelé de « Fugazi » à la poésie conceptuelle merveilleusement alambiquée de « Misplaced Childhood ». Enfonçons le clou avec « The Thieving Magpie », en forme d’oraison funèbre prononcée peu après le divorce Fish/Marillion. Quant à « Made Again », il scellait dans le marbre, au printemps 1996, la séparation du combo d’avec EMI et son remariage avec Raw Power/Castle Communications. Loin de l’arnaque de la bien nommée « pie voleuse », compilation live de bric et de broc sortie à la va vite par EMI pour sa faire le maximum de blé sur le dos de la formation, « Made Again » nous servait deux CD bourrés jusqu’à la gueule qui, en l’espace d’un peu plus de deux heures, proposaient un superbe panorama synoptique de la période 1989-1996.
Cristallisant à merveille les épanchements en clair-obscur de l’époque Hogarth, le premier volet de ce double album alternait ainsi des envolées lyriques frissonnantes d’émotion et d’intensité (Splintering Heart », « The Space », « King ») avec les principaux singles d’hier et d’aujourd’hui (le fabuleux triptyque « Kayleigh »/ »Lavender »/ »Blue Angel », les langoureux « Waiting To Happen » et « Beautiful » ou encore les toujours très controversés « Cover My Eyes », « No One Can » et « Hooks In You »). S’extrayant des canons progressifs « politiquement corrects », Marillion s’affichait ici en rassembleur toutes catégories.
Formidable machine à rêver, jamais en panne de romantisme, la bande de Steve Rothery démontrait, en la circonstance, une remarquable faculté fédératrice qui, n’en déplaise à certains intégristes, constitue l’apanage des monstres sacrés du rock. A portée de sillon de cette sélection de classiques « grand public », le second CD de ce coffret live délivrait, pour sa part, une version véritablement hantée du fantastique « Brave« , enregistrée par Dave Meegan himself le 29/04/1994 à La Cigale de Paris, lors d’un concert mémorable.
Succession épileptique de séquences musicales rageuses retraçant en plan serré le lente dérive d’une « Runaway Girl » à genoux, pleurant avec sobriété dans le décor dépouillé de l’hiver, « Brave » respirait ici (avec) une intensité douloureuse et apportait la preuve par neuf de l’extraordinaire potentiel scénique du gang d’Aylesbury… Une page venait de se tourner et cette épitaphe live était un formidable présent…
Bertrand Pourcheron (8,5/10)