Madame Robert – Comme De Niro (+ Interview Reuno)
At(h)ome
2018
Christophe Gigon
Madame Robert – Comme De Niro
Cette nouvelle formation française a sorti son premier disque le vendredi 7 septembre 2018. C’est tout frais ! Pourtant, les membres quinquagénaires de cette jeune formation ne sont pas nés de la dernière note : Reuno, chanteur du groupe de metal Lofofora, retrouve Xa Mesa et Stef Zena, dernière section rythmique des légendaires Parabellum. Ces trois-là ont déjà collaboré au sein du « Bal Des Enragés ». Le guitariste Julien Mutis, complice de longue date de Stef au sein du Harvest Blues Band, et Léa Worms (et ses claviers) complètent la fine équipe d’enragés furieux. Le but du jeu est très simple : produire un rhythm and blues en français qui doit autant à Nino Ferrer (dont le titre d’une chanson a donné le nom du groupe) qu’à Eddy Mitchell, Arno ou Sanseverino.
La mixture énergisante ainsi produite comblera tant les amateurs de chanson française des années 70 que les fous fondus de rock transpirant et graisseux. L’usage de guitares Fender et d’orgue Hammond achève de rendre le tout très typé, très marqué. L’originalité du tout réside néanmoins dans la voix de Reuno, plus musclée que celle du regretté Nino, même si le bonhomme est capable de modulations étonnantes. Une opération sans prétention, une passion pour une musique issue de temps que l’on n’espère pas révolus. L’époque de la bonne variété, des romans populaires de qualité (Simenon, Exbrayat et autres Frédéric Dard), des nanars attachants et des trublions cultivés (définitivement disparus ceux-là) comme Pierre Desproges, Jean Yanne ou le Professeur Choron. Cet album s’inscrit donc dans une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…sauf en sautant dans cette délicieuse machine à remonter le temps auditive que constitue Comme De Niro.
Comme l’affirme Reuno dans l’entretien qu’il a accordé à votre serviteur (à lire à la suite de cette chronique musicale), ce projet ne se veut pas simple « side project » bon à occuper le temps vacant entre deux disques de Lofofora. Il s’agit d’un vrai nouveau groupe qui compte bien prendre la place qui lui est due : celle d’un excellent groupe de rock français, qui joue une musique américaine…en français ! A l’instar d’Eddy Mitchell ou Dick Rivers mais boosté à la bière Kronenbourg ! La musique de Madame Robert ressemble à sa faconde illustration de pochette : pleine de vie et de fluide…glacial.
________________________________________________________________________
Reuno, le très charismatique parolier et chanteur de Lofofora, vit une actualité musicale chargée. Quelques mois après la sortie de l’étonnant album entièrement acoustique, Simple Appareil, qui sera chroniqué dans ces pages, il nous revient avec son nouveau projet de « rhythm and blues » chanté en français, Madame Robert.
Christophe Gigon : Comment le projet Madame Robert est-il né ?
Reuno : Le nom du groupe est tiré d’une chanson de Nino Ferrer. C’est notre influence principale. Notre section rythmique, bassiste et batteur du groupe Parabellum, faisait déjà partie du projet Le Bal Des Enragés, collectif de reprises de bal. Et comme je suis un gros fan de rhythm and blues, on faisait souvent des bœufs, sans grosses guitares, pour se faire plaisir. Dans les loges, je faisais souvent le D.J. et je passais des disques de rhythm and blues, de rock garage, de soul music. Et c’est là qu’on s’est dit que l’on pourrait monter un nouveau projet de rhythm and blues…en français ! Et quand Schultz, de Parabellum, nous a quittés, il nous a semblé que c’était le moment de concrétiser ce projet.
CG : Et la recette est très originale ! Votre musique ne ressemble à rien de ce que l’on peut entendre aujourd’hui Le style proposé par Madame Robert (du rhythm and blues américain chanté en français) a peu à voir avec la musique de Lofofora. Pensez-vous que votre public reste malgré tout majoritairement composé de fans de Lofofora?
R : Ce sera un tout autre public même si les fans de Lofo iront y jeter une oreille. Moi, je ne me pose pas la question. Le disque est sorti hier (7 septembre 2018, ndlr.). On n’a fait qu’une dizaine de dates avec Madame Robert. On a souvent joué dans des fêtes de village et les gens étaient très curieux et s’arrêtaient pour nous écouter. Le public était très hétéroclite, de quinze à soixante-dix ans ! Pas le public de Lofofora !
CG : Nino Ferrer, Jacques Dutronc, Sanseverino ou même le meilleur d’Eddy Mitchell sont des références que l’auditeur pourrait entendre. Aviez-vous l’idée de rendre hommage à ces artistes cultes ou votre projet était bien plus intuitif que cela ? Heureusement, vous savez toujours rester du bon côté du goût !
R : (Gros rire) Je suis le plus grand fan de Nino Ferrer ! Il a toujours souffert d’être pris pour un guignol alors qu’il était un grand artiste dadaïste. Ses chansons sont des bijoux, comme des strips de bande dessinée. Je ne vais pas non plus trop intellectualiser le bonhomme pour le rendre chiant ! La chanson française de la fin des années 60 et du début des années 70 était géniale : Dutronc, Eddy Mitchell. Ce côté débonnaire et franchouillard, j’adore. Je suis comme ça aussi. J’aime avoir mes chaussettes assorties au caleçon, j’aime l’humour gras de temps en temps…mais avec élégance et vocabulaire ! Le mec qui chante dans Madame Robert est pourtant le même qui chante dans Lofo ! On a tous plusieurs facettes de notre personnalité à exprimer. Avec Madame Robert, c’est ma facette déconneuse.
CG : Les textes légers mais aussi nostalgiques font référence à une époque révolue : la fin des années 70 et le début des années 80. Voulez-vous surfer sur cette vague qui plaît aux quadras et quinquas, comme le magnifique mook (mot-valise, contraction de « book » + « magazine », ndlr.) Schnock ?
R : J’adore aussi tous les films des années 70. C’est la nostalgie car les mecs de notre âge commencent à avoir le pouvoir dans les magazines ! Mes idoles sont des mecs comme le Professeur Choron, Jean Yanne ou Jean-Pierre Marielle. Mais je me méfie toujours de la nostalgie : je me force à aimer notre monde et à ne pas toujours dire que c’était mieux avant comme dans la chanson de Madame Robert.
CG : La pochette du disque est particulièrement réussie. Dommage que l’époque des rangées de vinyles disposées chez les disquaires soit, elle aussi, révolue. Une petite étiquette à côté d’un téléchargement MP3, voilà où on est. Quel est votre avis sur l’évolution des supports musicaux ?
R : On ne va malheureusement pas le sortir en vinyle sauf s’il y a une vraie demande. Notre projet démarre, on a un label, un tourneur, c’est déjà pas mal. On va faire de petites salles, on reprend le truc à zéro…en espérant que ça décolle vite quand même ! De toute façon, il n’y avait aucune raison de proposer une pochette moche ! Même en C.D. elle donne pas mal ! Le digipack a de la gueule ! On dirait un 45 Tours de l’époque. C’est moi qui suis à l’origine de l’artwork. On a recruté le modèle, on a acheté le dessus de lit, la photo a été prise chez moi. Je voulais absolument que cette photographie fasse penser aux compilations qu’il y avait chez nos parents à l’époque. C’est du mauvais goût réussi !
CG : L’utilisation de l’orgue Hammond et des guitares Fender donne un son très typé au projet. Au-delà de votre volonté de sonner d’une manière très éloquente, le projet Madame Robert peut-il évoluer, en proposant d’autres concepts, d’autres périodes, d’autres styles de références ?
R : Non, on veut rester dans ce style. On veut être créatifs. Il s’agit de nos propres compositions ! On va faire danser les gens en faisant des concerts ! On va faire des blues, des chansons.
CG : Certains titres (« Derrière la porte », ou « Salaud ») ont un très fort potentiel « commercial ». Honnêtement, si c’était Bénabar ou Higelin qui les interprétaient, les rotations radiophoniques seraient assurées. Pensez-vous que votre projet puisse bénéficier d’un support conséquent, qui pourrait faire « décoller l’affaire » ? Ou ce projet n’est-il qu’une pause récréative pour vous tous ?
R : Et bien, merci. Que les médias puissent t’entendre ! Il ne s’agit pas du tout d’un side project. C’est un vrai nouveau groupe. J’y crois. On a envie de faire évoluer le truc. Si tout va bien…J’en saurai plus dans un an. En tous cas, on se fait plaisir. C’est comme avec Lofo, on n’a jamais l’impression qu’on va au boulot. Avec Madame Robert, c’est le même état d’esprit même si c’est une autre musique. Je ne suis jamais rentré dans une logique commerciale. Sinon, je serais allé bosser dans une agence de publicité.
CG : Ce qui fait la force de ce projet, c’est qu’en plus du côté potache, on sent une grande maîtrise instrumentale, une aisance incroyable dans les interprétations.
R : Le disque a été enregistré en quatre jours et demi pourtant, dans les anciens studios Vogue. Ce lieu est habité d’histoire. Tout a été fait « à l’ancienne », en live.
CG : Notre site Clair & Obscur est le site des musiques progressives, texturales, extrêmes, alternatives… Madame Robert ne peut se ranger dans aucune de ces boites (pour reprendre un titre de l’album Simple Appareil de Lofofora) et pourtant, il a toute sa place ici pour notre lectorat. Pourquoi, à votre avis ?
R : Lofofora a toujours fui les étiquettes. On peut faire du grindcore comme du blues. La musique de Madame Robert vit dans l’inconscient collectif. Tout le monde connaît notre musique inconsciemment. C’est comme la soul music, tout le monde la sent et veut remuer les fesses et la tête. Et tout amateur de bonne musique est curieux.
CG : Notre lectorat est plus habitué à ce qu’on lui parle de rock progressif, de jazz-rock ou de musique expérimentale. Pourtant, il sera probablement très intéressé par l’écoute de ces deux disques, pourtant bien différents. Ecoutez-vous du rock progressif ?
R : J’écoute peu de rock progressif mais je suis un gros fan de Neurosis ou Yob. Neurosis, c’est Pink Floyd qui aurait très mal aux dents ! On adore Mastodon aussi. Mais je déteste quand il y a des démonstrations stériles. Mais je vois aux T-shirts que portent les gens à nos concerts qu’il y en a qui viennent de chez vous.
Propos recueillis par Christophe Gigon, Septembre 2018