Long Earth – An Ordinary Life
Grand Tour Music
2024
Thierry Folcher
Long Earth – An Ordinary Life
Je ne pense pas trop m’avancer en affirmant que les Écossais de Long Earth n’ont pas encore atteint la notoriété de leurs compatriotes d’Abel Ganz ou de Pallas. En revanche, il est important de signaler (à moins que vous ne le sachiez déjà) que ces trois formations calédoniennes sont, malgré tout, intimement liées. En effet, Alan Reed, l’excellent chanteur de Pallas, a débuté chez Abel Ganz, tout comme Kenny Weir et Gordon Mackie, l’ancienne paire rythmique de Long Earth. C’est donc une histoire de famille qui a traversé les âges pour nous offrir cet An Ordinary Life, troisième épisode d’une jeune carrière commencée en 2017. La petite histoire raconte que le line-up actuel de Long Earth s’est déjà croisé dans les années 80 lors d’un festival à Glasgow, mais dans trois groupes différents. Une situation cocasse qui n’a pas empêché nos cinq baroudeurs du rock de se retrouver aujourd’hui afin de nous proposer ce petit bijou intemporel. Car An Ordinary Life est un album plutôt bien foutu et qui vaut la peine qu’on en parle. Pour moi, la première attraction fut la voix de Martin Haggarty (lui aussi a fait un passage éclair chez Abel Ganz), véritable plus-value et support idéal pour la mise en valeur des mélodies et des différents climats. Les parties vocales sont abondantes, mais pas ennuyeuses, comme pourraient l’être certains déballages sans fin et sans structure. La voix du chanteur de Long Earth est tellement belle que l’on prend plaisir à l’écouter, comme on le ferait avec n’importe quelle séquence instrumentale. Le chant est une seconde nature dans les pays celtes et Martin possède ce timbre clair et posé, capable d’enflammer le plus commun des discours. S’il fallait jouer au jeu des comparaisons, je le situerais proche de celui de Michael Sadler de Saga ou de John Lees de Barclay James Harvest.
Les mots transportent des sons, mais aussi des idées. Dans le cas des huit titres de An Ordinary Life, les textes sont effectivement importants et méritent un minimum d’attention. Les dix minutes de « Fight The Hand That Bleeds You » qui ouvrent l’album mettent l’accent sur la nécessité de combattre l’asservissement et les traditionnels mensonges politiques ou religieux. Un constat bien ancré dans nos préoccupations actuelles et dans notre quotidien surmédiatisé. Les paroles sont guerrières, et la musique fait une entrée tonitruante. Les claviers de Mike Baxter se distinguent par une approche grandiloquente, proche du Tony Banks des années 80. C’est, en effet, vers le Genesis seconde période que la musique de ce premier morceau semble se diriger. La cadence est soutenue avec en point d’orgue la basse funky de David McLachlan et la guitare incisive de Renaldo McKim. La production de Matt Harvey aux Maybank studios de Glasgow est d’une propreté remarquable, donnant à ce « Fight The Hand That Bleeds You » toute la magie que réclament les traditionnels morceaux épiques du rock progressif. Les changements de rythme et d’atmosphère sont bien rendus et plongent instantanément l’auditeur dans une ambiance à la fois familière et originale. Après cette appétissante mise en bouche, « Morpheus » va calmer le jeu et nous offrir de beaux arpèges pleins d’échos, ainsi qu’un jeu de baguettes (Alex Smith) aérien et inventif. Un second titre mélancolique sur lequel les vocaux de Martin et la guitare jazzy de Renaldo seront les grands acteurs de cette virée au pays de Morphée. À ce stade de l’écoute, un premier bilan s’impose. An Ordinary Life est certes agréable à écouter, mais pour l’instant, il manque peut-être un brin de folie et quelques sonorités moins conventionnelles. De ce fait, la suite sera scrutée de très près.
Cette suite s’appelle « Life » et fait partie d’un triptyque à retrouver en plusieurs épisodes sur le disque. Même si « Life » continue dans cette ambiance un peu désenchantée, on perçoit néanmoins quelques pointes de félicité et une pulsation un peu plus appuyée. L’intro au piano est rassurante et accompagne doucement les mots de Martin basés sur l’apprentissage de la vie. En fait, le concept général de An Ordinary Life est fort simple, il fait référence à tous les événements, bons ou mauvais, que l’on rencontrera un jour ou l’autre dans notre existence. Une vie ordinaire, tout simplement. Alors, même si ce genre de discours n’est pas très nouveau, cela devrait permettre d’accueillir les chansons comme une sympathique transposition en musique de nos propres expériences. Le voyage se poursuit avec « Sand » et la mise en action d’un potentiel rock, jusque-là insoupçonné. La guitare se sature comme il faut et le chant scande des paroles volontairement nostalgiques (l’inexorable passage du temps). La deuxième partie du morceau est bien enlevée avec un décollage de la guitare de toute beauté. Un éclat de courte durée, car les douloureux souvenirs de « Shadows » feront surgir des ombres du passé, de plus en plus envahissantes. La musique est en mode douloureux, mais avec de jolis moments aux claviers et à la guitare. Ce long morceau nous offre une fin particulièrement réussie, conforme aux classiques du genre et porteuse d’évocations musicales toujours autant appréciées. Côté paroles, « Life II – The Arc » qui enchaîne juste après, ne sera pas porteur d’éléments très joyeux, mais ça, on s’y attendait. Heureusement, la musique se fait un brin tubesque avec une omniprésence de claviers tout droit sortis du catalogue des eighties. Curieuse impression de se voir battre la semelle sur cette histoire amère des années qui défilent et nous échappent. Vu le contexte, on se doute bien que l’histoire de « Moscow » ne sera pas très gaie, mais la musique – et c’est là l’essentiel – compensera largement ce pathos récurrent. Huit belles minutes aux tournures proches de BJH avec une basse bien mise en avant, plus quelques riffs tranchants et une allure guerrière omniprésente. An Ordinary Life se termine avec le troisième volet « Life III – Empty Shore » et son joli discours fédérateur, quoiqu’un peu naïf compte tenu des travers de la nature humaine. Ici aussi, la musique prend des airs de symphonie progressive avec ses thèmes répétitifs et sa construction classique de fin d’album.
An Ordinary Life est une œuvre simple et directe qui devrait séduire sans peine les fans de rock progressif classique. Elle a été conçue par une équipe de vieux briscards qui savent jouer et composer de fort belle manière. Cependant, cette fameuse « vie ordinaire », on la connaît bien et nous la rappeler avec autant d’insistance n’est pas forcément le meilleur moyen pour s’évader. Ce que je vous conseille, c’est de laisser les messages de côté et de vous focaliser sur la musique tout en profitant pleinement de ces jolies séquences pleines de feeling et de références aux grands anciens. Long Earth ne révolutionne pas le genre et n’atteindra sans doute pas le niveau de ses maîtres. En revanche, An Ordinary Life ne procure ni ennui ni questionnement, il s’agit juste d’un bel effort progressif capable d’imposer habilement ses gammes dans un univers saturé et pas toujours à la hauteur. Et c’est déjà très bien.
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