Lofofora – Vanités
At(h)ome
2019
Christophe Gigon
Lofofora – Vanités
Trois décennies après les débuts du groupe et à peine une année après la belle parenthèse boisée qu’a été Simple appareil, Lofofora a rechargé les batteries et nous livre un album puissant, brut de décoffrage, un punk rock abrasif mâtiné de metal aux textes percutants et toujours aussi intelligents, habitude qui mérite d’être relevée dans un genre musical qui ne s’embarrasse pas toujours de telles velléités littéraires. Une grosse dizaine de baffes dans la gueule, assénées avec force et respect. Les ingrédients qui font le son Lofo font, encore une fois, florès : rythmes tendus, instruments aiguisés et énervés, voix claire et forte, propos réfléchis sur le monde tel qu’il va. Reuno, leader charismatique du quartette parisien, pourrait faire sienne ce titre de Jean-Louis Murat qui avoue que le cours ordinaire des choses lui va comme un incendie.
Lors des différents entretiens que nous avait accordés le parolier l’année passée, on avait été prévenus : Le prochain album de Lofo sera carrément pas acoustique du tout ! Ce sera un disque pas sympa. Ça nous a blessés qu’une partie du public ne nous suive pas sur notre projet acoustique. On a peut-être perdu la frange la moins ouverte d’esprit. Mais on n’a pas vraiment gagné un nouveau public. La partie « chanson française » ne nous connaît pas. Pour eux, on reste un groupe de graisseux. Quant au public de Lofo qui veut seulement pogoter, celui-là n’a pas trop aimé l’idée du passage acoustique. Mais beaucoup de nos fans ont aimé l’idée de pouvoir enfin faire écouter Lofo à leur copine ou à leurs amis qui ne sont pas trop fans de grosses guitares. En plus, on a lu que des articles élogieux dans la presse sur ce disque. J’en rougissais, on n’a jamais été traités comme ça par les médias. Comme si j’étais le nouveau Gainsbourg !
Ainsi, l’état du monde, mêlé à ce sentiment d’« injustice » vécu par le groupe quand il s’est lancé dans ce projet courageux, dans lequel il s’est mis à nu, ont donné naissance à ce disque agressif et lucide : l’homme n’est que vanité. Le titre d’ouverture « Bonne Guerre » donne le ton. Souhaiter une bonne guerre à nos jeunes afin qu’ils montrent qu’ils sont des hommes, voilà le genre de conneries que dénonçait déjà Daniel Balavoine, lors de son mémorable passage à l’émission 7/7, prestation limite qui lui valut, du reste, les foudres des anciens combattants de l’Hexagone. Les titres, très parlants, se posent tous comme des constats attristés : « Les Fauves », « Le Refus », « Le Venin », « Le Futur », « Le Mâle », « Les Seigneurs » ou « La Surface ». L’élégante illustration de la pochette, qui propose un étrange cousinage avec celle du premier album de Megadeth, se montre dans toute sa limpide expression : un crâne posé sur une table, éclairé par une bougie posée à son côté (c’est ce qu’on appelle en peinture une vanité, non ?). Un micro, une cassette audio, un pendentif estampillé Lofo et…un tout petit bonhomme déguisé en squelette qui s’agite au milieu du souk. Cette très belle image fait penser à la superbe métaphore écrite par le génial Gérard Manset pour l’auguste Bashung, dans son titre-fleuve « Comme Un Lego » : On voit de toutes petites choses qui luisent. Ce sont des gens dans des chemises. Tout n’est que vanités.
Si au niveau de l’écriture et de la force du son, on ne peut qu’être rassuré : Lofo n’a pas vieilli, il a mûri, on pourrait peut-être regretter des structures musicales déjà entendues, des rythmes déjà souvent soutenus ainsi que des suites d’accord qui font raccord avec le reste de la discographie de l’équipe. Mais quel groupe peut véritablement se targuer d’éviter ce centre de gravité constitué par un style à forte teneur en identité ? Lofofora se pose comme un jeune trentenaire, l’âge mûr en quelque sorte.