LMX – Dimension Shift
Meshwork Music
2019
Frédéric Gerchambeau
LMX – Dimension Shift
Encore que le sujet de cette présente chronique soit le premier album du fils, impossible de présenter le fils sans parler du père, à propos duquel j’ai, par bonheur, déjà abondamment écrit. Voici donc, en premier lieu, et comme dans toutes les bonnes séries, un résumé des épisodes précédents.
Je vous ai déjà parlé d’André Schmechta, alias Sevren Ni-Arb, fondateur d’X Marks The Pedwalk, un groupe allemand peu commun et par ailleurs encore peu connu en France. Et j’écrivais ceci : « Rien que ces noms posent questions, et je n’ai pas encore parlé de la musique. Mais parlons déjà du nom du groupe, puisque le nom que se choisit une formation, c’est son étendard, son emblème. Alors voilà, le nom X Marks The Pedwalk provient en droite ligne d’un récit de science-fiction de Fritz Lieber relatant le début d’une guerre opposant piétons et automobilistes. C’est déjà assez dire que ce groupe vieux de 25 ans, dont André Schmechta a néanmoins été le seul membre stable, situe clairement son univers dans l’imaginaire, la noirceur et la technologie. Comme si écouter du X Marks The Pedwalk signifiait traverser en esprit un invisible miroir. Pour preuve de ceci, André Schmechta s’est mué en Sevren Ni-Arb, Brain Nerves épelé à l’envers. Cependant la physique quantique nous apprend qu’une anti-particule n’en est pas moins une particule, quand bien même se proclamerait-elle anti. Et que donc traverser le miroir nous laisse tel quel, malgré tout. X Marks The Pedwalk se propulse donc dans l’ailleurs pour mieux nous parler de nous-mêmes. Et ceci d’une façon très humaine, voire très émotionnelle, à cela près que les côtés un brin obscurs de l’homme et de l’amour ne lui font pas peur. »
J’ajoutais également ces lignes : « Je ne vais pas me la jouer grand savant : il y a encore peu, je n’avais jamais entendu parler de X Marks The Pedwalk. Mais ils m’ont envoyé leur nouvel album et je l’ai écouté. Il ne m’a pas fallu plus de trois titres pour que je sois totalement conquis. La beauté des mélodies, la puissance des rythmes, les arrangements aux synthés, les effets sonores multiples et parfaitement maîtrisés, la richesse émotive des voix, l’inventivité énorme encapsulée dans chaque titre, tout m’a frappé par sa volonté de qualité, par son vœu d’en donner un maximum à l’auditeur à chaque instant. Oui, j’ai pris ça pour de la générosité, mieux, pour du respect, et j’ai aimé. Alors j’ai fouillé dans l’histoire du groupe, qui est longue, riche et passionnante. Ce groupe-là pourrait se la péter grave avec un tel passé et une discographie impressionnante d’implication profonde et intelligente dans le mouvement electro allemand. Pourtant ces gens-là, et André Schmechta en particulier, restent tout à fait humbles, indéfectiblement humains. Qu’on me pardonne de m’exprimer ainsi, mais la musique de X Marks The Pedwalk paraît tellement synthétique, technologique, et tout et tout, qu’il me faut bien, pour vous présenter ce groupe de manière vraie et saine, remettre les choses en perspective : derrière les machines, des cœurs battent, s’émeuvent, communiquent et aiment. Ce sont des humains, comme vous et moi. Mais humains trop humains comme dirait Nietzsche. »
Voici donc ce que j’écrivais à propos de l’album Secrets qu’André Schmechta m’avait gentiment fait parvenir, avant que je ne lui demande aussi, sous le coup de l’émotion, de m’envoyer également l’album précédent d’X Marks The Pedwalk, The House Of Rain, qui s’est avéré tout aussi fabuleux que Secrets. J’avais également écrit à propos du Distance, non pas d’X Marks The Pedwalk, mais de SN-A, comprendre Sevren Ni-Arb, autrement dit d’André Schmechta all by himself en solo. Pas de chant, pas de paroles, que de la musique. Risqué pour un musicien si habitué à nous faire passer ses émotions au travers de mots parfois très crus ? En fait, Distance n’est pas le premier album de SN-A, un Transmissions précurseur étant déjà paru en 2013, dans un relatif silence, j’ai l’impression. Encore une fois, je peux comprendre ceci, les fans d’X Marks The Pedwalk étant tellement accrochés à sa voix si expressive et ses paroles si émouvantes. Transmissions n’avait pourtant pas démérité, très loin de là.
Un journaliste, au sujet d’X Marks The Pedwalk, avait un jour demandé à André Schmechta s’il pensait que ses compositions feraient bien dans un film. La réponse fut que chaque composition s’accompagnait dans sa tête d’images mais qu’il lui serait malheureusement à jamais impossible d’accompagner chaque titre d’X Marks The Pedwalk d’une vidéo. Alors, à défaut de vidéos bien réelles, Transmissions avait eu pour mission de donner à chaque auditeur l’occasion de se créer ses propres vidéos virtuelles à l’intérieur de son crâne, sur des musiques de très hautes volées tout autant rythmiques qu’oniriques.
Pourquoi donc cet accueil relativement frais concernant Transmissions ? Avouons-le, tant qu’on n’a pas écouté la réalité de ce premier opus signé SN-A, cela semble sentir un peu l’album New-Age à la sauce cosmique, facile et rapide à faire. La vérité est pourtant tout autre. Certes, André Schmechta y partait dans une direction très différente par rapport à X Marks The Pedwalk, mais sans jamais se départir de son immense savoir-faire et de sa sensibilité à fleur de peau. De fait, Transmissions était une belle réussite musicale, un album intense, plein de méandres obscurs et de recoins mystérieux.
C’est donc dans ce contexte de glissement progessif d’X Marks The Pedwalk vers SN-A qu’apparaît maintenant le premier album du fils. Je vais être très honnête avec vous (pour ne pas changer en réalité…), quand André Schmechta, enfin disons plutôt Meshwork Music, m’a envoyé, en chroniqueur régulier de ses albums, un mail préliminaire annonçant la sortie de l’album du fils, bien qu’appréciant énormément la musique du père, j’ai été parcouru d’un gros doute. Ben oui, ça fait paternel essayant de caser, avec quand même les bons mots qu’il faut, la musique du fiston. Le père et fils, je connais. Il y a du génial, voir par exemple ce qui se passe du côté du groupe Ange, et du beaucoup moins savoureux, voir ce qui se passe du côté de Tangerine Dream, devenu une machine à cash alors que c’était avant une des plus belles machines à rêves. Méfiance, donc…
J’ai fini par recevoir l’album en question. Il s’agit du premier opus du plus jeune fils d’André Schmechta, quinze ans à peine, et dont nous ne saurons que le pseudo, LMX. L’album s’appelle Dimension Shift. Normal, on ne va se refaire dans la famille, on aime la science-fiction de père en fils, héhéhé. Enfin, moi, ça ne me dérange pas. Le cosmos, l’espace-temps, les univers parallèles, les dimensions cachées, tout ça, j’adore. Alors, quand je reçois un album qui s’intitule Dimension Shift, j’en conviens, ça me parle. Mais qu’en est-il de l’album lui-même ? D’un ado de quinze ans, je vous le rappelle. Déçu ? Pas déçu ?
Etonné. Bon, ok, j’avoue qu’il est difficile de croire que la production d’enfer de l’album n’est pas du père, qui s’y connaît incroyablement en la matière. Mais pour ce qui est du reste, je veux ici parler de la musique par elle-même. Wow ! Alors là, chapeau bas. D’autant, et ce fut là mon premier sujet d’étonnement, que la musique du fils ne ressemble pas, ou si peu, à celle du père. LMX n’est pas SN-A. Ou pour mieux exprimer mon idée, LMX n’est pas le clone, la copie, le double de SN-A. Le fils encore apprenti aurait pu tout reproduire du père, ou le père aurait pu s’étendre inconsciemment au travers du fils. Les deux auraient été possibles, sinon probables, et ne m’auraient pas étonné outre mesure. Non, Le fils fait sa musique, qui n’est pas celle du père, point barre.
La Musique de SN-A est complexe, souvent massive, utilisant moult effets, souvent pour dégrader plus ou moins le son, lui donner un caractère rugueux, brut, usé. La musique de LMX est plus simple, spontanée, immédiate, avec des sonorités plus douces aussi, encore que visiblement très travaillées. Attention, cette simplicité, au moins apparente, n’est certainement pas le fruit de l’inexpérience, de l’hésitation. Cette simplicité est une volonté esthétique, plutôt élaborée par ailleurs, et qui perdure selon toute une gamme de nuances tout au long de l’album. Ce n’est pas sans rappeler les albums de Kraftwerk dans le minimalisme, et parfois même par moments musicalement. Cela dit, non, ce n’est pas du Kraftwerk, ni rien d’autre en fait que du LMX.
C’est assez spatial tout en étant subtilement techno. Je veux dire par là que l’impression est ample, aérienne, spatiale mais avec toujours des figures rythmiques et mélodiques qui font de LMX le fils spirituel des meilleurs artistes techno de la planète. La preuve encore que LMX n’écoute certainement pas les mêmes albums que SN-A. En revanche, question personnalité, c’est idem. On sent dans la musique du fils la même force créatrice que dans la musique du père. LMX a du caractère et de la solidité. Eh bé, les amis, ça promet pour la suite.
https://lmxmusic.bandcamp.com/releases