Live report Tim Bernardes au Trianon de Paris le 7 février 2024
2024
Lucas Biela
Live report Tim Bernardes au Trianon de Paris le 7 février 2024
Cherchant inlassablement un concert avant mon départ pour Albion, je tombe sur Tim Bernardes. J’écoute par curiosité les chansons mises en ligne sur YouTube, et je suis subjugué par sa voix et son univers. Appréciant les sons Tropicália de la fin des années 60, je retrouve chez notre jeune compositeur-interprète-multi-instrumentiste cet amalgme de pop psychédélique et de tradition locale popularisé par Gal Costa, Tom Zé, Gilberto Gil ou encore Os Mutantes. Ces noms figurent d’ailleurs parmi ses références. On notera même qu’il s’est fait connaître en collaborant avec certains d’entre eux. Pour son unique date en France, c’est au Trianon qu’il a donné rendez-vous à ses admirateurs. C’est une salle que je ne connaissais pas, mais qui donne l’impression d’assister à une cérémonie de remise des César une fois qu’on y est installé : les fauteuils rouges, les deux niveaux de balcons, les ornements autour du cadre de scène…
Une demi-heure avant le début du spectacle, il n’y a presque plus de place ! Comme je disais à ma voisine de droite, « il vaut mieux ne pas arriver un quart d’heure avant », et elle de me répondre, « sinon, vous restez à l’extérieur de la salle ». Dans la salle, j’aperçois Philippe Katerine. « Il habite dans le quartier », me répond ma voisine. Aucune première partie n’étant prévue, il faudra m’employer à discuter avec elle et son mari pour faire passer le temps.
Quand enfin se présente Tim, je ne peux m’empêcher de penser à Mikael Akerfeldt du groupe suédois Opeth. Cheveux longs, moustache, sourire, look rétro, tout me fait penser à lui. Mais revenons à Tim. Chez lui, c’est son agilité vocale qui séduit. Modulant sa voix à la manière d’un souffleur de verre qui façonnerait sa création au gré de son souffle, on le voit même réaliser un tour de force sur le morceau d’ouverture avec passage des aigus aux graves. Mais le chanteur scandinave ne nous avait-il pas habitués aussi à cette dualité dans ses expériences passées ? Effectivement. Chez notre Brésilien, cependant, vous vous en doutez, les graves restent dans le domaine du chant clair… Ces variations permettent à notre natif de São Paulo d’exprimer différentes émotions et atmosphères tout au long d’un même morceau. On reste aussi captivé que pendant la lecture d’un récit. Cette comparaison est d’autant plus vraie que certaines de ses interventions se rapprochent du récit chanté. Ainsi, et même si la langue nous est étrangère, entre voix murmurée, récit chanté, chant passionné, vocalises poignantes et même sifflements, le Pauliste parvient à nous plonger dans son océan personnel sans jamais nous en faire sortir la tête. Les atmosphères, c’est avec sa voix, mais également au moyen d’instruments qu’il passe de l’une à l’autre. Alternant entre guitare classique, piano et guitare électrique, il peint ses tableaux avec d’autant plus de couleurs. A propos du piano, son style percussif sera ponctué de mélodies se rapprochant des boîtes à musique, nous faisant découvrir par là même une galaxie pleine de fantaisie dans un univers régi par le rêve et la poésie. Les transitions entre agitation et calme se retrouveront également dans le jeu de guitare, où des attaques à propos répondront aux mouvements légers des doigts. Eh oui, pour que le tableau soit complet, il faut aussi travailler sur les nuances de couleurs instrumentales.
De temps à autre, on entendra le public reprendre les paroles en chœur. Mais ici, contrairement au concert de Julia Sarr, c’est le public qui est à l’origine de l’initiative et non la vedette de la soirée. En effet, une bonne partie des spectateurs semblent maîtriser la langue de Jorge Amado. Quelques voix féminines dans le public contribueront même à un chœur touchant et inattendu dans un des rappels de la soirée. De mon côté, la seule contribution a consisté à taper des mains dans les moments les plus « dansants » de la soirée. Seul sur scène, le Brésilien aurait pu livrer une prestation austère. Il n’en fut rien, comme vous avez pu le lire, le jeune tropicaliste se jouant des conventions dans les nuances de sa voix et dans son jeu contrasté. Ajoutez-y une petite dose d’humour et vous êtes aux anges. Il fallait en effet voir la star prendre la pose avec son pouce après que le flash de l’appareil photo d’un des spectateurs a retenti dans la salle. Et que dire de ces T-shirts « invisibles » qui nous attendent au stand de merchandising. Un de ces « mille objets invisibles » de Tim ? Le seul bémol, outre l’attente sans première partie évoquée plus haut, c’était ces spots qui nous aveuglaient entre deux morceaux. Je pouvais applaudir, mais il me fallait baisser le regard, car la lumière dirigée vers moi à partir du cadre supérieur de la scène était vraiment trop éblouissante.
Tim Bernardes a envoûté le public lors de sa prestation en solo au Trianon. Sur album, l’instrumentation est beaucoup plus large (on y entend aussi des cordes, une basse et des percussions). Cependant, sur scène, il a su rendre ses compositions bien vivantes grâce à sa voix gorgée de tradition brésilienne et pleine de nuances, son jeu contrasté, et son interaction avec le public. Après Recomeçar en 2017 et Mil Coisas Invisíveis (les fameux « mille objets invisibles ») en 2022, un nouvel album devrait bientôt voir le jour. Je ne manquerai pas d’y jeter une oreille, et ce compte-rendu vous encouragera certainement à faire de même. Si, néanmoins, vous préférez les sons plus rock, vous pourrez toujours vous tourner vers les O Terno, plus proches d’O Terço, avec qui ils partagent à une lettre près le nom. Tim a en effet fait ses premières armes au sein de ce trio avant de lancer sa carrière solo.