Earth – Primitive And Deadly

Primitive And Deadly
Earth
2014
Southern Lord Records

Earth Primitive And Deadly

La première image qui vient, c’est le soleil qui se couche, toujours brûlant. La sueur n’arrête pas de perler sur le front, glissant sur le nez. Chaleur. On se croit à l’abri des reflets lumineux, encore trop durs, et on se prépare à poursuivre sa lecture de son livre, un Cormac McCarthy. Un dernier regard sur l’horizon… Mais c’est le dernier Earth qui arrive sur la platine. Cela colle bien avec les lumières qui transpercent le plancher, alors on se cale davantage dans le fauteuil, le whisky pas trop loin. Et le fantôme de Dylan Carlson apparaît. Oui, je sais, il n’est pas mort mais, en même temps, il n’est ni mort, ni vivant à la fois. C’est une empreinte photographique, un revenant. Il a échappé au trépas, au temps… Les années 90, la drogue, la dépression. Il fonctionne dès lors dans un cycle quasi-chorégraphique avec Earth, celle d’une batterie rituelle, pachydermique, et du riff de guitare qu’on laisse égoutter durant des heures et des heures dans la même langueur hypnotique. Depuis au moins vingt ans, Earth invite aux paysages arides de l’ouest américain, oubliés ou mentaux, avec ses plaines désertes, ses fermes abandonnées, ses carcasses disparues. À ceci près que le voyage n’est pas aussi méditatif, pas comme d’habitude. Le ton est ici plus lourd, rude au premier abord et même âpre. Puis, des voix s’élèvent de ces ruines dont le lecteur connaît chaque pourtour.

D’autres spectres ? Le premier qu’on entend est celui de Mark Lanegan. Tudieu, ce mec est capable de rendre passionnant les horaires de trains de banlieue juste avec son organe. Sa voix rauque (sans le côté démonstratif, je sais, il en est capable) sifflote le long des roches, portant sa chaleur. Cela en est presque naturel, évident, comme une invitation. On remarque alors que le soleil prend une teinte plus pourpre, le vent s’en est tu. Puis vient une autre voix, féminine, celle de Rabia Shaheen Qazi. Et là, le paysage se charge d’humidité, légère mais présente comme si l’astre retenait ses larmes. Ne me demandez pas comment mais c’est comme ça. « Zodiacal Light » en devient presque une berceuse psychédélique, telle la main qui caresse doucement une joue, enlevant les gouttes de sueur persistantes tout en remettant une mèche de cheveux par-dessus l’oreille. Une douceur en cet instant de solitude. Nous ne sommes jamais vraiment seul(e)s.

Earth Band

Est-ce que j’ai envie d’aller plus loin ? Les mélodies décharnées se frayent un autre passage, survolant des lacs, des souvenirs jamais vécus. On ne peut pas s’empêcher de fermer les yeux. Chut… Ecoute. Rouvre-les et continue ta lecture. Plus un son, ni d’oiseaux, ni même d’une brindille. C’est comme un instantané sur un temps d’exposition long, caniculaire, mais plaisant. Silence. Nouvelle mélodie freinée, Mark Lanegan, à nouveau. Il termine. Sa voix n’est plus qu’un écho affectueux. Il semble lui-même disparaître dans les réverbérations électriques de Carlson, alors que le ciel n’est plus qu’un monochrome de rubis. Caché derrière sa barbe, celui-ci se permet un chapitre caché, présent sur l’édition vinyle.

Quelques lignes de plus, une ponctuation marquée, une poésie muette pour une torpeur rallongée. Finalement, on se détache de la sécheresse de McCarthy, on la dépasse pour arriver sur les terres d’un Woodie Guthrie ou d’un R. J Ellory. C’est simple, chaud, triste et beau. C’est fini, maintenant, tu peux fermer ton livre et les yeux.

Jérémy Urbain (8,5/10)

http://www.thronesanddominions.com/

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