Live report Louise Jallu à La Scala de Paris le 9 novembre 2024
2024
Lucas Biela
Live report Louise Jallu à La Scala de Paris le 9 novembre 2024
Bien qu’originaire d’Allemagne, le bandonéon a acquis ses lettres de noblesse en Argentine. Cependant, et même si son premier album rend hommage à Astor Piazzolla, c’est une utilisation bien plus large que dans le tango que Louise Jallu en fait. En effet, d’une part le répertoire proposé est vaste, allant de Johann Sebastian Bach à Georges Brassens en passant par le blues, d’autre part, la musique associe liberté jazz et harmonies classiques.
Ainsi, d’emblée c’est le bouillonnement dans le jeu du batteur, Ariel Tessier, qui nous surprend. Sur le solo qu’il exécute dans une sonate remaniée de Robert Schumann, on imagine une pieuvre tellement les rythmes sont nombreux. Ce constat est même renforcé par le miroir derrière le musicien et l’ombre portée sur le mur qui lui fait face. Par la suite, les ambiances s’avèrent tourmentées (ce Fritz Kreisler qui rappellerait les sirènes de la police nationale !). Mais la lumière va peu à peu pénétrer dans la pièce. Oh certes les ambiances demeurent feutrées (cette sonate si envoûtante de Johann Sebastian Bach, ou l’« Oblivion » si étreignant d’Astor Piazzolla), mais le quatuor qui accompagne notre bandonéoniste aime surprendre. Et pour arriver à ses fins, il agite ses instruments autant que nos neurones dans ces improvisations délurées où chacun met à contribution son imagination. Le feu qui s’en dégage offre un beau contrepoint avec les notes autrement rêveuses du programme. Outre les multiples références mentionnées avant, ce sont aussi des compositions de Louise qui émaillent le concert. Ici un milonga aux consonances lugubres, là un boléro très personnel, plus loin encore une pièce rythmée composée du temps où elle se formait à Gennevilliers. Malgré ce grand écart dans le registre, l’homogénéité est assurée par les arrangements aux petits oignons de Bernard Cavanna, par ailleurs présent dans la salle.
On a vu le tourbillon des notes de batterie, il faut aussi signaler la versatilité du guitariste, Karsten Hochapfel. Que ce soit les notes cajolantes d’un Pat Metheny, le flot serein d’un Baden Powell, ou les expériences modernes d’un Eivind Aarset, il y a de quoi être éberlué par le vaste arsenal de sonorités produites. Le pianiste, Grégoire Letouvet, n’est pas en reste, car à la subtilité de son jeu répond l’intrigue des notes créées par l’ajout d’objets sur les cordes de son instrument. Et n’oublions pas la contrebasse d’Alexandre Perrot, que l’on voit aussi bien évoluer dans des ambiances mélancoliques avec l’archet que plus enjouées avec les doigts, voire… le poing. Et d’ailleurs, quelle surprise quand le boléro de Maurice Ravel est l’occasion d’un traitement rythmique de cet instrument comme de la guitare. Le ton espiègle dont le duo est à l’origine fait même glousser dans la salle. En voilà une manière amusante de réarranger un classique destiné initialement à la danse. Enfin, dernier instrument et non des moindres puisqu’il s’agit de celui de la meneuse de revue, le bandonéon oscille entre tradition et modernité. Se contorsionnant comme une chenille, le soufflet nous hypnotise et nous fait déambuler aussi bien dans les rues de Buenos Aires que dans des coins « branchés » du monde. Parmi les temps forts, on notera la présence de danseurs en couple sur scène, les improvisations des compagnons de notre bandonéoniste ainsi que les déambulations de cette dernière dans les allées de la salle.
A travers un vaste répertoire et la rencontre du classique, du jazz et du tango, le concert de Louise Jallu et de ses compères a merveilleusement bien mis en lumière les nombreuses facettes du bandonéon, cet instrument emblématique du tango argentin qui continue de fasciner.
https://www.facebook.com/jallu.prod1