Live report Lee Ritenour 29 mars 2023 au New Morning
2023
Lucas Biela
Live report – Lee Ritenour 29 mars 2023 au New Morning
Faisant avec Allan Holdsworth les beaux jours du SynthAxe à l’aube des années 90, Lee Ritenour se distingue néanmoins de son illustre pair par une musique plus accessible. C’est dans un New Morning aussi plein que la ligne 13 du métro parisien (en heure creuse cependant, l’espace vital n’étant encore pas si restreint) que j’ai eu l’occasion d’apprécier son jeu. Mais avant d’être « emporté par la foule » à l’intérieur, je discute dans la file d’attente de concerts passés et à venir avec un des admirateurs du guitariste. J’apprends que, contrairement à Mike Stern, que l’on voit annoncé sur une affiche pour un concert prochain, le Californien ne se produit pas souvent dans la capitale – sa dernière date française doit remonter en effet à près de huit ans. Puis, comme il est de coutume à l’entrée de chaque salle de concerts, un flyer nous est remis. Mais, l’artiste ne nous parlant pas, nous le déposons aux côtés des autres flyers qui couvrent une table à l’intérieur. « Ça ne se fait pas », nous rétorque une femme qui accompagne mon interlocuteur. Et j’en rigole avec lui. Nos chemins se séparent ensuite, et je cherche un emplacement qui me permet d’associer de façon optimale le son et la vue. De peur de me le faire « voler », je n’en bouge pas de la soirée.
Accompagné d’une équipe jeune et dynamique, l’as de la six-cordes va nous ébahir de ses notes réconfortantes : pensez à Larry Carlton dans Steely Dan ou en solo, ou encore aux moments les plus introspectifs de Pat Metheny ou Eric Johnson. Mais ce sont également des notes plus agressives qui nous attendent, presque comme dans une composition heavy rock à la Robin Trower des débuts. On pourra en outre être surpris de notes plus sombres (si, si, je vous assure, ces notes que ne renierait pas Tony Iommi alternaient avec des notes lumineuses dans le morceau clôturant le premier set). Enfin, le passé reviendra au galop quand des morceaux comme « Captain Fingers » (« Pourquoi tu ne joues pas ce vieux morceau qu’on aime » lui avait demandé les préposés au rythme) nous rappelleront que l’adresse de Lee dans les « tours de force » techniques (oui, clin d’oeil au fameux live d’Al di Meola) n’avait rien à envier à celle de l’ancien guitariste de Return To Forever.
Certes, le répertoire du prodige de la guitare sera passé en revue avec des morceaux rythmés ou des vignettes mélodiques (le morceau « Pearl », la plus belle composition de son A Twist Of Rit de 2015, qui s’est retrouvé dans le « Lucas’ show », mon émission-culte… Comment, vous doutiez du caractère culte de cette émission ?), mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un concert. Et qui dit concert dit place à l’improvisation. C’est ainsi que l’on verra des « duels » guitare-batterie (le morceau funk-fusion « Lay It Down », où à un passage reggae succède une émulation complice dans le dialogue qui se noue entre le maître et son fils (Wesley est en effet le fils de Lee)). Ailleurs, on pourra également savourer un exercice de synchronisation entre les deux instruments à corde (Lee revêtant là sa casquette du « Captain » des 70’s). En outre, on aura droit à un festival de rythmes à taper du pied et à bouger la tête quand le bassiste et le batteur offrent un brin de causette à leurs instruments respectifs. Ce sera d’ailleurs toujours une ovation une fois le cortège de notes de la basse slappée passé.
Un des moments qui a le plus illuminé mes pupilles et émoustillé mes oreilles, c’était ce grand bœuf où se mêlaient feu latin (ce piano en ébullition transmettant des notes dignes des partitions les plus « caliente » de Danilo Perez), motif répétitif à la Philip Glass dans les notes de guitare, et rythme tribal dans le partenariat charleston-mains du rejeton de Lee. Pendant ce même boeuf, on pouvait même assister à un contraste saisissant entre les effets ambiants de la guitare (pensez aux soundscapes de Robert Fripp) et les frappes tous azimuts de la batterie. On notera également toute la panoplie de sons que le claviériste présentera. Tantôt ce sont ces notes facétieuses que l’on pouvait entendre chez Chick Corea ou George Duke dans les 70’s, tantôt des notes plus tape-à-l’œil comme dans la décennie qui a suivi. Le piano n’est pas en reste, puisque, comme indiqué plus haut, les références latines étaient à l’honneur.
La coqueluche de la soirée n’hésite pas non plus à faire preuve d’humour. C’est ainsi qu’il repense avec une nostalgie teintée de fierté à ses 12 ans quand, découvrant Wes Montgomery – un artiste qui ne l’a plus quitté par la suite – il buvait au bar ! Ailleurs, on l’entendra même nous conter que parfois il se demande de qui est le morceau qu’il a entendu à la radio, avant de se rappeler – à nouveau avec une certaine fierté – qu’il est de lui ! Il émouvra cependant le public quand il le remerciera, autant que le New Morning, de donner sa chance à une musique instrumentale qui n’a pas les faveurs des radios et du grand public.
Lee Ritenour a délivré avec ses partenaires de jeu ce soir-là un concert d’une grande qualité, où il ne s’agissait pas de reproduire note pour note des morceaux choisis de son répertoire, mais de leur donner une nouvelle vie en les ponctuant d’improvisations et de clins d’oeil à d’autres styles. Sa simplicité dans les échanges avec le public et son jeu sans fioriture, combiné à sa propension à laisser ses compagnons s’exprimer librement, font de lui un personnage attachant. En attendant de le revoir en France, il poursuit sa tournée aux Etats-Unis : n’hésitez donc pas à vous rendre à une de ses dates si vous avez l’occasion d’y voyager dans les semaines à venir.