Live report Grégory Privat au Théâtre du Vésinet le 16 novembre 2023
2023
Lucas Biela
Live report Grégory Privat au Théâtre du Vésinet le 16 novembre 2023
Pianiste que j’ai découvert avec son magnifique album, Nuit Et Jour, Grégory Privat se produisait le 16 novembre 2023 au Vésinet. C’est un lieu plutôt cossu que je connaissais depuis le lycée, un camarade de classe y ayant organisé une soirée à l’époque. Mon frère m’ayant rappelé qu’une des connaissances de Dakar de sa femme était en villégiature cette semaine à Colombes, je me suis pressé de lui proposer de m’accompagner au concert. Cathrisse, c’est son nom (« tes parents ont hésité entre Catherine et Clarisse ? » lui avais-je demandé en plaisantant) n’a pas hésité. Ainsi, nous voilà à prendre les transports avant de marcher 10 mn (« on va faire du tourisme ») dans les rues très animées (sic) du Vésinet. Une fois sur place, le ventre vide, c’est au son du quintet jazz qui précède la vedette de la soirée que les charcuteries et les fromages nous rassasient.
La salle est en effet disposée comme une salle de cabaret, avec, devant la scène, des tables autour desquelles les convives peuvent discuter et se repaître. Mais venons-en à la tête d’affiche : Grégory Privat. Son jeu éclectique, mélangeant aussi bien des influences occidentales (classiques ou moins classiques) que de l’île dont il est natif, la Martinique, et alignant des lignes aussi bien virtuoses que mélodiques, m’a tout de suite séduit. Je me suis revu écouter Mario Canonge, son compatriote au cœur balançant également entre culture des Antilles et culture occidentale. J’avais découvert cet artiste dans l’avion qui me menait à… San Francisco ! (c’est que dans mon ancienne vie professionnelle, il n’y avait pas que mes oreilles qui voyageaient… loin, très loin… )
Revenons cependant à Grégory. Bien que jouant une musique où l’entrain est souvent de mise (« ça va un peu vite » quand il eut fini de jouer un morceau hommage à la Martinique), c’est d’abord sa modestie que l’on retiendra : déjà dans l’apparence (il est tout de noir vêtu), mais également dans ses propos, dans lesquels il nous rappelle, non sans humour, que le titre de l’album qu’il nous présente sur scène, Yonn, fait référence à nous tous, « nous sommes un (c’est la signification de « Yonn »), malgré nos différences », et non à son jeu en solo. Ensuite, c’est son optimisme à toute épreuve qui force le respect : il a su garder son âme d’enfant, curieuse, cette âme qu’une fois adulte, rappelle-t-il quand il introduit son titre « Tonalité », nous avons tendance à perdre. Lui préfère garder cette « fréquence », cette « tonalité » qui résonne en lui. Par ailleurs, cet optimisme se traduit aussi par son appel à rester tous unis malgré ce que la télé et les réseaux sociaux nous présentent. Cet optimisme conjugué à sa modestie lui permet d’aller de l’avant, loin des « qu’en dira-t-on », dans une musique hybride où se mêlent des influences aussi diverses que Scott Joplin, Art Tatum, Johann Sebastian Bach, Liszt, Erik Satie, mais aussi la musique de film et bien entendu les héros musicaux des Antilles (rappelons, même si Grégory est un artiste à part, que son père n’est autre que José Privat, passé par la case Malavoi). Il en résulte une musique véritablement unique, où, en plus d’un équilibre parfait entre virtuosité et mélodie, l’on s’attache à cette voix qui résonne… en nous cette fois-ci. Dans la chaleur des vocalises de Grégory, impossible de ne pas avoir en tête quelques grands noms du chant tels que Pedro Aznar, Milton Nascimento, Richard Bona ou encore Dhafer Youssef. Quand il s’emploie à chanter en créole, les connaisseurs oserons le parallèle avec Erik Pédurand, surtout dans la collaboration de ce dernier avec Mario Canonge, tiens tiens encore lui… Lors d’un morceau où le chant ne repose que sur des vocalises, je m’amuse à faire remarquer à Cathrisse que c’est à ce morceau que le pianiste aurait dû donner le titre « J’ai Oublié Les Mots ». Grégory Privat, c’est donc aussi une voix magnifique, voix dont il fera par moments des « loops » pour donner un effet de chœur, voire un effet de « dialogue » (il n’y a pas qu’avec son piano qu’il dialogue !). Il va même jusqu’à faire participer le public (« c’est le moment dans le concert où je vais faire participer le public »), en lui demandant de reprendre en chœur un refrain d’une grande complexité : « la la la la ». Puis, une fois le morceau terminé, tel un enfant, il s’émerveille de la résonance (encore elle) que sa demande a eu dans le public.
Belle soirée, qui n’aurait pas été complète sans ce décor de rideaux rouges, qui n’est pas sans rappeler une œuvre majeure du cinéma… d’horreur, j’ai nommé Suspiria (l’original de 1977), film baroque, où la couleur, surtout le rouge, est déclinée sous toutes ses nuances. Pourquoi Suspirira ? Je vous laisse juge de mes propos avec cette scène (à partir de 0’24). Pour rester sur la salle, qui a donné une belle carte blanche à un « artiste à suivre » (titre que lui a décerné l’Adami), elle accueillera l’année prochaine des artistes aussi prestigieux que Étienne Mbappé (beaucoup moins populaire que l’autre Mbappé, mais qui reste un « monstre » de la basse pour quiconque s’intéresse à cet univers où ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur mais l’enthousiasme du public), ou encore Didier Malherbe (eh oui, l’ancien de la planète psychédélique Gong continue à fouler les planches des scènes musicales pour le plus grand bonheur des anciennes comme des nouvelles générations). En parlant de « Bonheur », tout comme un air de « Parfum », il s’agissait d’un des titres au nom court (« J’aime les titres simples… pas simplets », nous contait Grégory) qui a pu faire le bonheur (eh oui, toujours lui) de nos oreilles. Mais je m’égare, revenons à la salle et à son équipe. Le Vésinet Live Afterworks (Vla pour les intimes) propose chaque année six concerts. Comme vous avez pu le lire plus haut, « ça ne rigole pas » côté programmation, comme j’avais pu le faire remarquer à Agnès, une bénévole en charge des newsletters, et à qui j’ai proposé d’offrir mes services à l’avenir. A moins de 20 mn du centre de Paris en RER A, il serait vraiment dommage de passer à côté de concerts d’une telle qualité, et pour un prix bien modique. En plus vous pourrez vous émerveiller des vieilles bâtisses qui longent les rues du Vésinet (« on va faire du tourisme ») avant de vous poser dans la salle.