Live report Bab L’ Bluz + Mohamed Abozekry au New Morning, Paris, le 6 novembre 2024
2024
Lucas Biela
Live report Bab L’ Bluz + Mohamed Abozekry au New Morning, Paris, le 6 novembre 2024
Pour nous faire patienter avant les rythmes endiablés de Bab L’ Bluz, c’est un programme minimaliste que nous propose Mohamed Abozekry. Muni uniquement d’un oud, il nous transporte dans un monde versatile. En effet, poreuse y est la frontière entre sons berçants et attaques plus agressives, portant le feu du flamenco. Le chant, d’obédience traditionnelle, alliant imploration et exaltation, est plutôt agréable à l’oreille. Cependant, les paroles étant très souvent suivies d’onomatopées, mon attention se porte davantage sur l’instrument. Chez notre Franco-Égyptien, on apprécie ces courts motifs improvisés qui se suivent les uns après les autres, comme si le jeune homme s’amusait avec son luth comme Tom le ferait avec Jerry. Voilà des instants de pur bonheur pour qui comprend que l’audace en musique c’est de donner au mot « jeu » tout son sens. Dans les moments plus explosifs, quand l’agitation se fait insistante, on est fasciné par cet assombrissement de l’atmosphère. L’ambiance pesante nous emporte alors dans une spirale cathartique. Par ailleurs, quelle surprise quand notre musicien s’improvise a la fois bassiste et oudiste sur son instrument. Mais c’est qu’on a affaire à un vrai « Mr. Tambourine Man » ! Maniant avec adresse la technique et la mélodie, Mohamed Abozekry est un artiste à suivre dans le monde de l’oud.
Bab L’ Bluz fut une véritable révélation quand je les entendis pour la première fois. En effet, loin de remettre au goût du jour le gnawa traditionnel, la formation franco-marocaine s’est évertuée à la revêtir d’habits occidentaux par l’apport de sonorités psychédéliques. Yousra, la chanteuse/gumbriste nous explique que le titre de leur excellent nouvel album, Swaken, signifie « au-delà de la transe ». Et de transe il est beaucoup question dans la musique de nos fusionnistes. En effet, que ce soit le jeu des mains (un vrai casse-tête pour le reproduire), les karkabous (castagnettes en métal), les chœurs incantatoires, ou encore les rythmes saccadés et hypnotiques de la batterie, voilà autant d’éléments qui appellent aussi bien à la danse qu’à la transe. Arrêtons-nous un instant sur l’instrument que manie notre Marocaine. A la manière des guitares électriques à double manche qui ont fait florès dans les années 70, notamment sous l’impulsion de Jimmy Page et John McLaughlin, on y retrouve… un gumbri et une mandole ! Oui, c’est bien la première fois que je vois cette association ! Les premières cordes produisent un son de basse, et les secondes des notes chaudes proches du saz. Par ailleurs, côté chant, outre des arabesques envoûtantes, la voix de Yousra porte la gouaille des chanteuses de rock (vous l’avez compris, il faut faire rencontrer l’Orient et l’Occident). J’évoquais le rock psychédélique, mais on va même jusqu’au hard rock dans les accélérations des frappes du batteur et les solos de gumbri ou de mandole. Ah, cette attitude à la Eddie Van Halen dans le jeu de la jeune femme !
La foule étant montée sur ressorts, les morceaux rythmés s’enchaînent. En effet, dans la salle, ça danse, ça frappe des mains et ça chante ! Mais notre quatuor réussit néanmoins à glisser des morceaux au parfum plus éthéré, comme quand il est question de tolérance ou bien de répertoire traditionnel yéménite. Par ailleurs, que de frissons quand le chant lamenté et gorgé d’émotions se pose sur l’introduction empreinte de mysticisme d’une chanson dédiée aux femmes qui se battent pour leur liberté. Et que dire de ces flûtes enchanteresses qui font monter le feu vers des cieux à la fois bucoliques et oniriques (référence voulue au titre du premier album de ces autres fusionnistes que furent Mahavishnu Orchestra… Tiens, encore John McLaughlin !). Dans les moments forts de la prestation de Bab L’ Bluz, il faut aussi signaler l’étonnement que suscitent les atmosphères sinistres suggérées par le frottement de l’archet sur le gumbri. La frontwoman pense pendant le concert à avoir un mot pour ses soutiens, dont Oum, que j’ai eu l’occasion de voir récemment à l’occasion du Festival de Marne. Alliant énergie et émotion, la musique de Bab L’ Bluz a remporté tous les suffrages ce soir-là.
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