Limousine – L’Eté Suivant…
Ekleroshock Records
2019
Thierry Folcher
Limousine – L’Eté Suivant…
Limousine, cela évoque aussitôt le luxe. Et c’est bien de luxe musical dont il s’agit ici. Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce combo parisien, préparez vous à plonger dans le monde du beau, du sensuel, et de moments ensoleillés à se prélasser. Tiens donc, mais la pochette de L’Été Suivant… illustre très bien cette atmosphère (illustration tirée de la BD Bonjour Tristesse de Frédéric Rébéna). Limousine nous propose une musique gorgée de mélodies accrocheuses et de rythmes nonchalants qui vont transformer notre quotidien assez tendu en douce flottaison bienfaitrice. Je vous assure, Limousine va vous rendre le sourire. Mais qui sont ces quatre apprentis sorciers capables d’un tel prodige ? David Aknin (batterie), Laurent Bardainne (saxophone, claviers), Maxime Delpierre (guitare) et Frédéric Soulard (claviers) viennent tous du jazz. Limousine est en fait un projet annexe vers lequel ils aiment se retrouver pour bénéficier d’une grande liberté d’expression récréative et sortir comme ils disent du « ghetto » jazz. L’Été Suivant… est le quatrième album du quatuor et fait suite à l’étonnant Siam Roads de 2014, une belle virée atmosphérique vers une autre culture en tout point réussie. Limousine produit une musique accessible, sans grande prise de risques et certains parleront même d’ « easy-listening ». Alors c’est sûr, L’Été Suivant… peut s’écouter de façon distraite mais quel dommage ! Car avec une attention appuyée, vous verrez que chaque titre laisse derrière lui des petites choses qui valent la peine d’être ramassées. Des petites choses souvent imperceptibles mais qui font toute la différence.
Ce que l’on retient d’emblée c’est la beauté des mélodies, la qualité des arrangements et la diversité de chaque titre. Nos quatre amis ne s’imposent aucune limite et veulent garder avec Limousine une grande latitude créatrice. La seule contrainte était peut-être de faire cadrer chaque morceau avec la couleur générale qui tourne autour du soleil, du voyage, de la vie au ralenti et de l’abandon. La création de L’Été Suivant… s’est faite lors des trois derniers étés à Paris, pendant que la ville entame cette fameuse pause estivale propice à la flânerie et à la paresse. La production d’une netteté incroyable permet à l’auditeur de vivre intimement chaque moment de façon privilégié. Sur « Colombus » par exemple, Laurent Bardainne utilise cette proximité pour offrir des notes de saxo doucement susurrées et même légèrement voilées. Sur ce premier titre, la ligne mélodique revient en boucle inlassablement, partagée entre le saxo et la guitare de Maxime Delpierre (magnifique), le tout enrobé de claviers aériens et de rythmes chaloupés. Ici, on entrevoit Angelo Badalamenti et les univers cinématographiques décalés de David Lynch ou de Jim Jarmusch. Un démarrage d’une grande précision émotive qui donne vraiment envie d’aller plus loin. La suite va poursuivre ce cheminement, tout d’abord sur le court « Oiseau Du Matin » qui, sur le même tempo, fait la part belle à de délicates boucles de claviers, et ensuite sur « Les Amis De Pointe Noire », une virée antillaise mi-reggae mi-calypso qui sonne à merveille dans ce contexte nonchalant et détendu.
L’Été Suivant… a vraiment la couleur du soleil et tire parti du pouvoir extraordinaire des sons pour créer des ambiances colorées. La guitare reverb, par exemple, de « No California » symbolise à elle seule la gaieté, l’insouciance et les vacances. On est dans les années 60, c’est bourré de chaleur et la rythmique disco de David Aknin enfonce le clou pour donner à ce titre l’allure d’une promenade sensuelle. On aime aussi les notes quasi chantées de « Valparaiso », un morceau que l’on se surprend à fredonner tout naturellement. Et puis surgit l’indispensable « Cambodia », à mon avis la pierre angulaire du disque. Avec ce titre à l’accent jazz prononcé, Limousine redistribue les cartes et sort de sa douce léthargie pour une révolte surprenante. Finalement, tout n’est pas si confortable et du coup, L’Été Suivant… devient assez mystérieux et plus difficile à saisir. Cela se confirme avec le très tendu « Autoroute », habile mélange de Jean-Michel Jarre et de Kraftwerk (Autobahn), un morceau qui se termine même avec des allures de post-rock pêchu. Ce n’est plus le soleil, mais la « Pluie » qui clos de façon énigmatique ce surprenant voyage très réussi. Limousine va faire parler c’est certain, à tel point que ce projet parallèle risque fort de s’imposer chez nos quatre loustics. A suivre.
Pour finir, juste une petite critique sur le packaging. C’est vraiment dommage d’offrir un livret bien maigre pour une musique si riche. Alors bien sûr l’essentiel n’est pas là, mais quand-même, à l’heure du despotique streaming et des fichiers mp3 sans âmes, le support physique est attendu chez certains comme un contre pouvoir nécessaire. Quelques photos, quelques infos instructives et le tour est joué, il n’en faut pas plus.
Je vous invite vivement à monter en Limousine et à vous laisser aller à la rêverie et aux doux moments de bien-être. L’Été Suivant… fait partie de ces albums qu’on peut (et qu’on doit) partager sans risque d’ennuyer ou de décevoir. Le monde du jazz aime sortir de temps en temps de cette grande autoroute balisée pour de petites routes sympathiques où vous croiserez entre autres Mocky, Portico Quartet,Tin Hat et bien sûr Limousine.
https://ekleroshock.bandcamp.com/album/l-t-suivant
C est du lourd! Admirable