L Raphaële Lannadère – Cheminement
Horizon Musiques
2023
Franck Houdy
L Raphaële Lannadère – Cheminement
« Pourras-tu m’emmener Jusqu’au lieu qu’on aimait ? Là où tout entre nous a commencé ? », c’est sur ces quelques mots que s’ouvre cet album d’une grande délicatesse.
C’est entouré de Frédéric Jean aux batteries et synthés, de Julien Lefèvre au violoncelle et à la basse, de Valentin Mussou et Guillaume Latil aux violoncelles et d’Antoine Montgaudon aux programmations, guitares et piano que L – Raphaële Lannadère a enregistré Cheminement, son nouvel album. En ouverture, « La Rivière » nous subjugue d’emblée par sa beauté renversante. Cette chanson d’amour, empreinte d’une mélancolie douce, chante l’espoir d’une petite flamme qui perdure malgré le temps qui passe et espace. Ce premier titre prend des allures d’incantation et cela reviendra souvent dans cet album, notamment sur le très intense « Plonge ». Dans cette première chanson, L demande « Emmène-moi s’il te plait Espérer jusqu’à l’aurore. Je veux voir la rivière, me baigner puis encore Je veux croire en l’eau claire, Que rien ne meure. » La batterie lente et tribale participe pleinement à cette sensation d’ancrage qui se dégage du titre. La nature est d’ores et déjà présente, elle l’est toujours dans les albums de L et cela ne se dément pas dans ce dernier opus. Les ambiances guitare et basse évoquent celles du générique de Twin Peaks de David Lynch, composé par Angelo Badalamenti. L’onirique vient se calquer sur le réel du cadre décrit, cette maison à la campagne, remplie de souvenirs et des âmes de celles et ceux qui y sont passés pour partager l’essentiel. On écoute et visualise un vieux film super huit tressautant, avec des tablées, des visages, des rires et des jeux d’enfant. Évidemment sortie en single – il aurait fallu être folle pour ne pas la mettre en pleine lumière – « La Rivière » est de la trempe de ces chansons qui agrippent le cœur sans crier gare et dans l’instant. Aucune hésitation n’est possible quand la beauté est d’une telle évidence. Il me semble l’avoir toujours écouté, comme si elle avait toujours fait partie de mon histoire intime, de mon chemin.
À l’écoute de « Je T’Attends », l’absence, le manque de l’autre et tout que l’on met en place pour y pallier nous est livré en partage : « Dans l’aube grise Je relie les signes Etoiles, balises Que la nuit dessine Tout ce qui danse Devient visage Ou présage De la chance Même l’absence ». Le morceau se décline en trois phases, la première sur une boucle électronique, froide et cyclonique semble imager la rudesse de toute séparation. Arrive dans un deuxième temps, la batterie, la basse et la guitare, la vie qui, peu à peu, prend le dessus, l’essentiel, le corps. Puis vient le temps de l’orgue sublimant la souffrance du deuil. Il souligne comme la beauté peut jaillir des émotions les plus sombres. J’ai très naturellement senti une parenté entre ce titre et « Mon Chevalier » d’Émilie Simon, mais cela ne regarde et n’engage que moi !
On trouve dans ce nouveau disque deux chansons rendant hommage à des figures du militantisme et de l’engagement. « Miriam », chanson hommage à Miriam Makeba, chanteuse sud-africaine. La musique oscille entre blues et comptine tandis que Raphaële chante une femme puissante et la danse, si importante pour elle, fait son entrée dans ce disque. À ce propos, le clip de « La Rivière » fait la part belle à cette expression artistique et est de toute beauté. Avec « Greta », l’anglais est à l’honneur pour évoquer l’image de Greta Thunberg, jeune activiste écologique. Batterie, chœurs dans les graves et sonorités de guitare érayée lui confèrent une force toute particulière, à la fois posée et affirmée. « Ensemble », duo avec la chanteuse Sandra Nkaké, loue la sororité des voix, l’écho et l’unisson en relief des polyphonies. Toutes deux se retrouvent régulièrement pour un récital féministe et engagé, intitulé « Protest Songs », en compagnie de Jeanne Added et Camélia Jordana. Ce projet est à n’en pas douter à la source d’envies sonores et d’idées qui irriguent ce nouvel album. D’ailleurs, « Plonge », chanson courte et incantatoire et ses effluves tribales, ancrées dans la Terre Mère est sûrement de celles-là, tout comme « N’Oublie Pas » qui clôture ce disque en reprenant une partie du texte du deuxième titre, « Je T’Attends ». S’en suit une très belle lecture musicale par Cécile Coulon que les formes éphémères créées pour des lieux comme La Maison de la Poésie, par exemple, ont sans doute nourri. L’album contient plusieurs références à des éléments spirituels, à des rituels et même musicalement, on ressent une approche très en connexion avec la terre. Les percussions sont tribales, j’ai presque envie de dire chamanique, comme dans « Plonge » : « Plonge, sonde ton courage ». Plusieurs univers cohabitent dans cet album. « Colline », chanson baroque aux teintes médiévales apparaît telle une ronde ayant traversé les siècles. On y retrouve des ambiances que l’on aimait tant chez Lhasa. « Nu », supplique évoquant la séparation, dans laquelle même la voix semble nue. Non contente d’être une très bonne autrice, Raphaële donne à entendre la finesse de son interprétation, à la limite de la brisure et portant déjà la flamme de l’appétit de (re)vivre. « Chemine », tout d’abord dépouillée qui bascule en une rengaine électro ou encore « Laisse Faire », merveille acoustique qui s’étire en transe jusqu’à un retour à l’évocation de la nature.
Je tiens à exprimer une mention spéciale au réalisateur Antoine Montgaudon ainsi qu’à Jérôme Pouloin pour leur travail de captation des voix. Ils ont su en garder la chair, chose si importante avec L tant son timbre et son chant sont singuliers, pris entre clarté et profondeur. Cheminement est aussi un spectacle, pensé comme une installation d’art contemporain. La scénographie a été confiée à Anne-Sophie Bérard et à quatre artistes vidéastes (Charlotte Charbonnel, Stéphanie Lagarde, Azël Phara et Lorena Zilleruelo) qui ont créé des images d’après la musique de Raphaële. Ce travail de mise en espace va assurément donner vie à un concert très original, L déambulant dans ce décor d’écran morcelé suspendu. On a vraiment hâte de découvrir ce prolongement à l’album Cheminement, qui est déjà une des très belles nouveautés sorties en cette année 2023.
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