KEN Mode – Success
KEN Mode
Season Of Mist
Cash. Cet album te vrille la colonne vertébrale comme un scoubidou. Oui, dès la première ligne. Pas de suspense. C’est bon, je peux avoir mon chèque ? Suite à une menace de terraformation de mon fondement par mon rédac-chef, je me permets d’en dire un peu plus (ne rigolez pas, il en est capable !). KEN Mode a toujours été pour moi un groupe, au mieux sympathique, jamais ne contrariant ma cuisson dominicale de tortellinis. Mélange de noise avec un hardcore plus ou moins épicé au metal qui a des burnes, le trio canadien avait certes sorti des albums efficaces et défouloirs à défaut d’avoir une ampleur qui ferait coller mes pâtes au fond la casserole. Mais là, on a un peu affaire à un nouveau départ dans la mixture. Et ce n’est pas uniquement parce que le groupe a enregistré son rejeton avec le cador binoclard toutes catégories confondues de l’analogique, Steve Albini (Neurosis, Mogwai, Jesus Lizard et Nirvana, entre autres…).
Oui, on a ce grain sale, ce touché saturé, cette basse qui tabasse, cet artisanat local de la prise de son, primitive et épurée, suintant des glandes sudoripares. Le méchant du fond dira que ça sonne passéiste, surtout celui qui n’a pas connu les années 90. Cependant, ici, ça respire la nouvelle jeunesse et le gros sel sur une plaie fraîche. Comme si le groupe des frères Matthewson, débarrassé de ses additifs antérieurs plus policés, se sentait pleinement libre, laissant exploser sa fougue collante et sa rage de bûcheron psycho-émotif dans une future et hypothétique prothèse dentaire. Mais cela ne signifie pas plus de violence rapportée. De brusques changements de rythme, assurément, de déconstructions sanguines dignes d’une jam session, oui, encore. Tel l’animal à l’affût lors de l’ouverture de la chasse printanière, le qui-vive infra-rouge réglé sur « alerte prédateur pervers », on se trouve « un tantinet » à découvert sur du terrain friable pas forcément folichon. Success cocotte la crudité du Hawks de bonne main qu’on tape à la cuisse, et il est aussi déclamatoire que l’ironie salace d’un Shellac. Ça grince tellement dans les conduits que j’ose à peine appeler l’équipe d’entretien.
C’est vicieux tout ça hein ? Et c’est d’autant plus estimable de remettre ce sentiment de danger, ce zeste d’excitation musclé, entre arrangements de violons, de chœurs féminins semi-hystériques sexy ou, cerise sur la forêt noire, de la voix criarde d’Eugène Robinson (Oxbow) venant faire un coucou de fight circonstancié. Et on ajoute les illustrations façon David Hockney passées aux couleurs primaires dans la tambouille, et cela donne juste un putain de truc génial. Avouons, d’après un rapide calcul, que le plaisir d’écoute se retrouve aussi décuplé que ma réserve de Leffe Royale. C’est incisif, avec ce qu’il faut de mélodies taillées à la torche acétylène, quitte à finir l’opus sur des accents indie-rock. Et il tourne en boucle l’engin !
Bon, je peux avoir mon chèque maintenant ?
Jéré Mignon
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Blessed are Ken Mode, for they shall have Success.