Kaori – Aux Îles Fortunées
Kaori Bleu
2017
Kaori – Aux Îles Fortunées
La scène se passe devant ma télévision, sur un programme de France Ô. Un groupe néo-calédonien présente son nouvel album et là, surprise, mon nom apparaît à l’écran. Le chanteur compositeur du duo Kaori (Thierry Folcher et Alexis Diawari) porte en effet le même nom que moi. Mon attention plus que décuplée me donne alors l’occasion d’assister à la très belle prestation des deux musiciens à la maison de la Nouvelle-Calédonie de Paris. Rendez vous compte, mon lointain homonyme aurait pu être entraîneur de foot, grand cuisinier ou encore artiste peintre, eh bien non, c’est un musicien, poète et chanteur de grand talent. Pour le passionné de musique que je suis, ce fut une extraordinaire surprise. Ceci dit, Kaori, c’est avant tout deux personnes complémentaires qui travaillent ensemble depuis de longues années et mêlent les deux cultures caldoche et kanak de façon fraternelle et ouverte sur le monde. Le symbole de l’arbre endémique kaori avec ses racines profondes et ses branches qui s’étirent vers le ciel en est la plus belle illustration. Une fois le côté personnel évacué, il reste l’essentiel, un superbe album de chansons dans la plus pure tradition française qui réussit à nous faire voyager tout en douceur autour du monde. Pour ma part, en l’écoutant j’ai rapidement oublié la petite anecdote du patronyme commun pour véritablement plonger avec délice dans ces climats colorés et parfumés.
C’est donc en 2016 au studio Bonsaï de Colombes, chez Lionel Gaillardin (Benjamin Biolay, Keren Ann), que l’album a été enregistré et mixé. Aux Îles Fortunées est ainsi né d’une rencontre entre un producteur métropolitain reconnu et deux lointains îliens passionnés de musique folk et de belles lettres. La pochette, tout en symboles, est un collage très réussi où l’Humanité est représentée dans sa diversité et semble converger vers un destin commun. Un voyage vers le mythe des Îles Fortunées que l’on possède en chacun de nous. Cet assemblage hétéroclite nous renvoie avant tout au rêve et à l’imaginaire. Les chansons sont en grande partie tournées vers l’Océanie, le soleil et les jolies filles, mais les notes sont puisées aux rivages de la Louisiane, du Brésil ou de la Jamaïque. Tout au long du disque, on éprouve une sensation de nonchalance et de bien-être qui nous fait prendre de la hauteur et voir les choses différemment. Le travail de Lionel Gaillardin est particulièrement soigné et les nombreux musiciens présents ont bien enrichi les onze compositions.
Aux Îles Fortunées est un album léger et sensuel à l’image de l’écriture des textes de Thierry Folcher, tout en nuances subtiles. Le voyage commence dans les faubourgs de Kingston avec le reggae de la « Fille Du Geôlier » qui fait peut-être référence à son lointain ancêtre bagnard. Les arrangements cuivres, chœurs, harmonica sont de grande qualité et le solo de guitare d’Alexis finit par nous amener très loin. Puis c’est au tour du saxo soprano façon « Englishman In New York » d’Alain Debiossat d’ensoleiller le réjouissant « Il Fait Si Chaud ». La suite nous emmène dans les clubs de jazz de la Nouvelle Orléans, « On Joue Du Blues », ou vers les plages du Brésil, « Sacré Soleil », des chansons qui mélangent habilement l’écriture francophone aux sonorités de J.J. Cale ou de Joao Gilberto. Ce métissage se confirme sur « Si Tu Devais Partir » ou sur « Il Vient D’Ailleurs » avec la pédal steel de Jean-Yves Lozach pour une coloration folk US.
Changement de décor avec « Flocon D’Ecume » où la voix feutrée de Thierry nous transporte vers ces légendaires « Îles Fortunées ». Les arpèges de guitare sont de toute beauté et les paroles très poétiques témoignent d’un réel talent d’écriture « Emmène-moi vers les rivages où vibre la clarté loin du tapage aux Îles Fortunées ». Pour moi ce « Troubadour au chapeau à plume » est la plus belle réussite du disque. On finit joyeusement avec « Juste Une Chanson » et son reggae chaloupé qui invite à se déhancher et à pousser la chansonnette.
Il faut bien l’avouer, l’attention que j’ai portée au tout début à Kaori est née de cette homonymie incroyable. J’aurais pu trouver là rien qu’une émotion passagère et une belle histoire à raconter. Au final c’est un remarquable album que j’ai découvert et qui risque de m’accompagner longtemps. Il a été particulièrement bien accueilli par la presse, le public et vient même de recevoir le prix NRJ du meilleur album de l’année 2017/2018 en Nouvelle-Calédonie.
Pour finir, Kaori est de retour à Paris pour l’enregistrement de leur deuxième album qui devrait sortir l’année prochaine. Un premier single, « Les Hommes Vivent Debout », sera publié cet été en avant-première. Thierry Folcher me confiait : « C’est devant la représentation d’une case traditionnelle avec ses piliers sculptés que j’ai pris conscience de la condition humaine et de la volonté des hommes de se tenir debout. Un symbole qui, à l’échelle planétaire, sera déterminant pour une paix durable ». Le ton de ce second album risque d’être un peu plus grave, mais on aura l’occasion d’en reparler.
Thierry Folcher