Kammarheit – Thronal
Cyclic Law
2020
Jéré Mignon
Kammarheit – Thronal
Kammarheit travaille sur les instants figés. Ces circonstances emprisonnées dans une sorte d’ambre fantomatique. Il laisse passer le vent au milieu des rues et des immeubles, il capte ces moments emprisonnés par l’usure, le temps et l’immobilisme. Écouter Kammarheit, c’est ressentir un vent glaçant sur la nuque, c’est prendre conscience de notre insignifiance face à une immensité, aussi bien naturelle qu’urbaine, dépassant l’entendement. Que ce soit dans les choix des pochettes semblant immortaliser dans une gelure ces instants épars, qu’au temps que se permet de prendre l’instigateur Pär Boström pour sortir ses albums (variant entre cinq et dix ans), bien que ce dernier soit bien loin d’être inactif, au vu du nombre de projets en cours (Altarmang, Hymnambulae, Aindulmedir).
Kammarheit a toujours semblé « autre », et cela même au milieu du catalogue fourni du label Cyclic Law, donnant corps à l’immobile, une présence dans les recoins et une empreinte dans ce que l’on ne voit pas. Ici, on ne cherche pas l’angoisse, l’horrifique, mais plus l’étrangeté, du moins sa présence par le vide, son inquiétude… Thronal m’a rappelé ces errances personnelles dans les pays d’Europe de l’Est, face à ces immeubles figés dans des travaux hypothétiques, ces habitations, appartements, cages d’escaliers sans vie devant lesquels on passe sans vraiment porter attention, à moins d’en prendre la peine. Plus que ça, Pär Boström semble creuser dans la mémoire des lieux. De cet aspect morne il semble y puiser son inspiration, une émotion dans son absence, rappelant fortement l’unique album de son projet Cities Last Broadcast. De ces drones dont semblent pulser des miettes de vie, des traces d’un temps semblable à des cicatrices, le suédois peaufine son style minimaliste dans le spectre de mélodies à moitié effacées, dans la morne continuité de cette étrangeté sans début, ni fin, faisant de chaque titre un cliché, une esquisse interrompue. Kammarheit emprisonne ces émotions enfouies et les rend, par son traitement, quasi sculpturales, palpables, à mi-chemin entre l’engourdissement et la découverte. Ce que Thronal révèle, c’est ce qui se cache dans l’en-dessous d’une peinture décrépie, dans la moisissure d’un papier peint gondolé, sans outrance mais avec une pudeur, quasi délicate, même si on peut trouver cet album plus « direct » par rapport à son prédécesseur The Nest qui m’apparaît toujours aujourd’hui trop morne et morose malgré ses qualités indéniables. C’est que Kammarheit joue sur un fil tendu et gelé. Pour un Asleep And Well Hidden presque chiant, mais nécessaire, on aura The Starwheel quasi matriciel et hypnotique. Thronal appartient à cet catégorie. Un album demandant un investissement mémoriel et psychologique, dépassant son image affligée pour quelque chose de plus profond, ne se suffisant pas à une surface décrépie mais demandant à comprendre cet état et d’y plonger…
Jamais simple d’approche, Pär Boström me fait penser à une sorte d’alchimiste érudit travaillant inlassablement ses formules, décortiquant ses propres épures, questionnant ses structures faussement linéaires, toujours à cette frontière indistincte où la poussière vole et les traces se créent sans qu’on sache vraiment où se positionner. Plus l’énigme est grande, plus l’intention est gravide et plus l’impact se fera ouaté. Thronal accompagne ces déambulations dans ces cités à moitié perdues, dans ces rues et artères désertiques dans un état d’esprit sans haine, ni rancœur mais sans espoir non plus, dans une neutralité quasi anxiogène.
Et bien… Quelque part… J’y trouve une certaine beauté…
https://kammarheit.bandcamp.com/album/thronal