Julien Doré – Vous & Moi
Columbia
2018
Julien Doré – Vous & Moi
Sa tournée vient à peine de s’achever et déjà Julien Doré sort un nouvel album. Nouveau ? Pas vraiment. Il s’agit d’un album acoustique intitulé Vous & Moi pour mettre en exergue le lien qui unit Julien Doré à son public. Ce disque s’adresse en priorité à ses fans, à celles et ceux qui se sont appropriés ses chansons et qui l’ont suivi à travers ses poésies musicales, ses chemins de vie. Il s’agit de la troisième incarnation des morceaux de & (plus pour certains qui ont eu d’autres vies sur les réseaux sociaux !) : le disque original, le live (paru dans la réédition), et cet album acoustique. Cela peut faire beaucoup. La gageure était de recréer ces chansons, en soulignant la sève de celles-ci, de revenir à une expression plus directe, et de préparer la tournée solo qui va suivre. Car en effet, après des mois de tournée dans les Zéniths, et le final à Bercy, il était temps de revenir à quelque chose de plus intimiste, et ce, quitte à le faire sans ses musiciens. C’est une première pour lui, une tournée piano voix où il va se retrouver en tête à tête avec son public.
Pour l’occasion, Julien a enregistré en secret Vous & Moi avec le fidèle complice Antoine Gaillet. On y retrouve ses « gars », Mathieu Pigné aux percussions, Baptiste Homo aux claviers, Darko à la guitare, et la participation de Julien Noël au piano sur un titre. Le principe de base semble de reprendre les mélodies et les bases des chansons au piano et de les amener vers autre chose, comme une conclusion à cette aventure. De quoi sera fait l’avenir, nul ne le sait, mais en attendant, on peut savourer les arrangements classieux de ce coda à &. Un album « unplugged », c’est un exercice plutôt casse-gueule. Comment ne pas se répéter tout en se répétant, forcément. Comment réinventer quelque chose qui existe déjà, comment dessiner un nouveau paysage sur une mélodie qui a déjà vécu et trouvé son chemin. Pour Julien Doré, c’est simple : reprendre les bases des compositions, ajouter un peu des arrangements du live et saupoudrer le tout d’idées nouvelles. Les mélodies vocales ne changent pas mais peuvent trouver des variations, et le morceau peut prendre son temps. D’ailleurs, les titres sont plus longs que sur le disque original. La voix est encore plus mise en avant et devient plus émouvante, les mots ayant encore plus de force. Dix titres de & sont repris dans cette formule, avec deux reprises : « Aline » de Christophe, avec laquelle Julien concluait ses derniers concerts, et « Africa », la chanson de Rose Laurens, dans la grande tradition de la reprise que Doré avait à cœur depuis La Nouvelle Star. « Africa » trouve ici une seconde jeunesse, et dévoile son texte, habité par Doré mais aussi par Dick Rivers qui nous gratifie de sa voix grave et sombre façon Johnny Cash. Une reprise réussie grâce aux harmonies vocales des deux hommes, purement splendides. Alors que « Aline » est transformée par Christophe sur scène dans une version qui n’aurait pas déplu à Radiohead, Julien, lui, prend le parti de l’interpréter classiquement, comme une vignette rétro qui ne se démode pas. Il faut dire que la chanson convient parfaitement à son timbre grave et doux. Sympathique, mais j’avoue que je préfère la nouvelle version de Christophe ! Alors, qu’en est-il de ces revisitations ? Avec Julien, on est toujours dans l’après. Il y a cette notion de bouleversement des émotions qui nous emmène après quelque chose, d’où le postromantisme qui imprègne ses textes. Ici, musicalement c’est la même chose. Comme s’il voulait calmer les fièvres des clameurs, les instruments sont en suspension. Piano mélancolique, guitares aériennes, percussions retenues, les envolées du live sont présentes mais en douceur, comme pour accentuer ces pics, en écho. Une fin de fête palpable (« Coco Câline » et son arrangement tropical sent la mélancolie de fin de party, quand tout le monde est parti et que tu restes avec quelques amis sur la plage à finir ton dixième cocktail), un after où l’on se dit que c’était bien, que le partage était là, était beau, était émouvant mais aussi festif.
C’est « Le Lac » qui ouvre le bal et alors que l’on pensait retrouver le motif de guitare introductif, il n’en est rien. Grâce à la guitare aérienne de Darko, on s’envole tandis que Julien chante posément ses paroles, comme apaisé. Le texte a fait son chemin et il trouve une nouvelle voie dans cet écrin dépouillé, en suspension, laissant la beauté du moment s’installer. « Porto-Vecchio » retrouve le piano de Julien Noël qui poétise davantage la chanson en laissant ressortir le lyrisme des paroles. Avec une version plus mélancolique, « Moonlight Serenade » trouve une dimension qui n’existait pas auparavant. Un morceau complètement retravaillé qui voit Darko, Baptiste Homo et Mathieu Pigné exceller aux côtés de Julien et qui nous arrive comme une belle brise d’été, douce et légère. « Eden » garde son côté urgent dans la manière de chanter le texte, et voit une guitare acoustique l’emporter comme une tornade vers sa fin. En attendant, chœurs et textes doublés magnifient la chanson avant cette fin purement sublime. « Sublime & Silence » ne se contente pas d’une version piano voix. Au contraire, elle est repensée avec des effets de claviers, une batterie légère, et une guitare discrète et intelligente. Le tempo est ralenti par rapport à l’original et l’envolée finale qui la caractérisait en live n’est pas oubliée, et c’est un bonheur.
« Romy » avait trouvé son chemin en live avec la participation du public. L’acoustique permet à Julien Doré de poser le texte en italien, dans une belle version piano voix. La sublime « Caresse » voit, elle aussi, son tempo ralenti pour mieux mettre en valeur son texte. Le chant doublé file la chair de poule et les arrangements subtils achèvent de rendre ce morceau mystique et mythique. « Magnolia » et son « Don’t Be Afraid » de refrain, c’était un instant magique en live, entre Julien Doré et son public. Il ne l’oublie pas, et reprend donc son arrangement live, en fait, lui seul au piano, augmenté quand même d’une guitare acoustique et de sons aux claviers, avant de laisser en écho le public s’introduire dans le morceau. Une belle façon pour lui de reconnaître ce lien, de la faire entendre sur ce disque, et de dire que cela signifie quelque chose. Que dire de « De Mes Sombres Archives », si ce n’est que ce morceau est un chef-d’œuvre qui, en live, prenait une dimension de folie, convoquant le post-rock dans la pop, l’emmenait vers des sommets inégalés et laissait exsangues autant le public que les musiciens. Sa version acoustique de plus de huit minutes est d’une beauté fracassante, de l’émotion pure. Les chœurs quasi religieux de Baptiste Homo, le martèlement rigoureusement calme de la batterie de Mathieu Pigné comme une déclaration définitive, le piano sublimement évocateur de Julien Doré, la guitare en apesanteur de Darko, tout cela met k.o.
& trouve donc sa fin dans ces morceaux revisités avec passion et talent par Julien Doré qui voit ici une manière de leur dire adieu et de renforcer le lien qu’il a construit au fil des années avec son public. C’est aussi un moyen de continuer à travailler avec ses « gars » et à se réinventer. Même si on aurait aimer trouver une petite pépite inédite, il faudra se contenter de ces douze morceaux réinventés, en se disant qu’un album de reprises avec des invités de marque (comme pour l’excellent « Africa ») pourrait être une bonne idée, en attendant de voir vers quelle direction musicale Julien Doré ira trouver sa vérité, sa liberté d’artiste.
Fred Natuzzi
Je suis bouche bée par ce très bel article FRED Merci
Merci à toi Muriel 😉