Juhani Silvola – Imaginary Archives Vol.1: Ritual Music From Nameless Civilisations
Dell Daisy Records
2017
Juhani Silvola – Imaginary Archives Vol.1: Ritual Music From Nameless Civilisations
En mars 2016, je vous avais déjà parlé de Juhani Silvola. C’était à l’occasion de la sortie de son premier album solo, Strange Flowers. Et j’avais alors exprimé tout le bien que je pensais – et que je pense toujours ! – de l’album et, au delà, du personnage. Résumons. Ses multiples talents, notamment de guitariste, l’ont amené à jouer avec des groupes d’inspiration folk comme Erlend Viken Trio, Earlybird Stringband et Adjagas, mais aussi avec un groupe de rock expérimental tel que Sacred Harp, et même de participer à des performances de musique contemporaine avec Torbjørn Eftestøl/Koan, Jenny Hval et Hege Pålsrud. C’est assez dire que Juhani Silvola, courageux, engagé, dense, multipolaire, en un mot impressionnant, a de l’envergure et de la profondeur. Et il le prouve encore avec ce deuxième opus en solo dont le nom est lui seul une invitation, Imaginary Archives Vol.1: Ritual Music From Nameless Civilisations. Une invitation, disais-je ? Certes. Mais je me dois de le préciser d’emblée, cet album est au moins aussi étrange – et donc intéressant ! – que son titre. Voyons cela de plus près…
Pour son nouvel album, Juhani Silvola, ne s’est muni que de trois guitares, dont une vénérable Hofner Archtop des années 50, une guitare idéale pour le jazz. Mais n’espérez pas du jazz, du blues ou même du rock, ni rien d’autre de connu. Le projet est bien celui du titre, la musique rituelle de civilisations sans nom, imaginaires, oubliées, disparues ou d’ailleurs. Le concept peut paraître a priori un tantinet foldingue, mais Juhani Silvola, par son talent, a vite fait de vous faire toucher du bout de l’ouïe la réalité musicale de ces rituels. Tout ceci a l’air plus vrai que vrai, enregistré live dans on ne sait quelle cérémonie secrète d’une peuplade inconnue. Les mélodies sont taillées dans le bizarre mais, paradoxalement, sans jamais être éloignées de l’Afrique ou de l’Asie. Les rythmes sont fascinants, lancinants, sculptés pour la ferveur et pour la dévotion. Tout est bien sûr inventé, mais également si crédible. Certains en viennent même à penser que Juhani Silvola a beaucoup lu Jorge Luis Borges et H.P. Lovecraft avant de se mettre à jouer de ses trois guitares tellement l’influence de ces deux auteurs semble imprégner d’insaisissables énigmes cet opus. D’autres y voient une parenté avec Igor Stravinsky et John Cage, excusez du peu !
L’une des deux autres guitares a été achetée pour trois fois rien dans une brocante. C’est peut-être celle-là qui donne à cet album son timbre direct, brute, sans âge. Personnellement, tout ceci me fait souvent penser à la musique que l’on jouait en Grèce du temps d’Homère, avec des harpes et des cithares d’une construction simple mais au son si plein et si évocateur. Pas mal de groupes folk grecs font renaître cette musique depuis quelques années. Sauf que Juhani Silvola ne se contente pas du style et du son, il y ajoute aussi son idée de peuples sans nom pour pimenter l’affaire, brouiller les pistes, et au final nous plonger dans une musique, sa musique, unique et follement originale, dans tous les sens de l’adjectif. Posons la chose ainsi : Ritual Music From Nameless Civilisations relève de l’expérimental tout autant que de l’expérience sensorielle. Car l’écoute en continu de l’album semble réveiller secrètement une mémoire musicale enfouie au fond de nous-mêmes, une sorte d’art primordial et sacré du rythme et du son. C’est aussi beau que puissant.
Frédéric Gerchambeau