Joulik – Envol
La Clique Productions
2018
Thierry Folcher
Joulik – Envol
Joulik nous annonce la parution en vinyle de Envol, leur dernière création sortie à l’automne 2018. Du coup, l’occasion était vraiment trop belle pour revenir sur ce petit bijou musical qui mérite bien de bénéficier aujourd’hui de ce nouvel habillage de qualité. Une annonce et un rappel qui s’adressent bien sûr aux aficionados du groupe mais aussi aux curieux, aux amoureux des belles partitions et à tous ceux qui ne rechignent pas à s’évader loin, très loin de leur base rassurante. Car écouter Envol, c’est emprunter des chemins détournés qui, malgré l’étrangeté des langues et des cultures, vous sembleront étonnamment familiers. Un miracle accompli par les trois chenapans de Joulik qui possèdent le don et le talent pour revisiter à leur façon les folklores et les chants venus d’ailleurs ou de nulle part. Leur répertoire s’est tout naturellement tourné vers les accents chauds de la Méditerranée, mais aussi vers d’autres coins du globe, allant jusqu’à explorer des terres inconnues aux langages inventés. Tous ceux qui ont vécu l’expérience vocale de Magma ou de Minimum Vital risquent de retrouver avec Joulik ces mêmes impressions troublantes et finalement enivrantes d’un univers où la musique des sons et celle des mots ne font plus qu’un. Joulik, c’est un trio vocal et instrumental composé de Robin Celse (guitare, oud, mandole, percussions), Claire Menguy (violoncelle) et Mélissa Zantman (accordéon, percussions). Tous les trois sont des musiciens accomplis participant chacun de leur côté à de multiples rencontres culturelles et théâtrales, Joulik devenant en quelque sorte le collecteur de toutes ces expériences. Un EP et trois albums plus tard, voilà une formation qui laisse toujours une belle empreinte derrière elle avec un public et des médias conquis.
Envol est donc la dernière livraison de Joulik, le prolongement naturel de Aux Temps (2014) et de Un Air, Deux Ailes (2017), deux albums qui suivaient déjà cette même trajectoire envoûtante et authentique. Le chant occupe bien sûr une place essentielle dans le groupe qui peut compter sur la voix très pure de Mélissa, bien secondée par l’accompagnement harmonieux de Robin et de Claire. De leur côté, les instruments ont la résonance chaude des cordes où chaque coup d’archer et chaque coup de médiator éveillent d’agréables sensations. C’est à Monferrat, dans les collines du pays varois que Benoît Martin, le quatrième musicien comme ils l’appellent, a enregistré les onze titres d’Envol. Un cadre chaleureux, idéal pour restituer une impression de proximité avec les trois musiciens qui nous invitent à les suivre avec leurs mots étrangers, leurs mots étranges et leurs sonorités émouvantes. Trois langages qu’il faut recevoir comme une richesse, une évidence qui nous rassemble. Le premier envol s’appelle « Morenika », un texte judéo-espagnol mis en musique par Joulik. Le joli thème servi par la guitare de Robin et le violoncelle de Claire va traverser tout le morceau et soutenir l’interprétation touchante de Mélissa. Une belle introduction, sobre mais dynamique qui présente à merveille les trois musiciens et leur univers. Ensuite, l’instrumental « Open Day » va faire la part belle à la technique accomplie de Robin Celse. Un sacré guitariste qui n’hésite pas à surfer sur plusieurs registres et à utiliser tout le potentiel de son instrument. Le morceau est construit de façon acrobatique avec de petites touches judicieuses d’accordéon, de violoncelle et de percussions. Une vrai réussite qui donne vraiment envie d’aller plus loin.
On continue avec « Siriguiri » écrit en langage imaginaire. Comme je le disais, cela ne choquera nullement tous ceux qui sont habitués à cet exercice vocal et qui savent que la voix peut être aussi un excellent instrument de musique avec d’immenses possibilités. « Malgré Moi », le seul titre chanté en français devient assez déroutant dans ce contexte exotique tourné vers l’ailleurs. C’était un risque à prendre qui choque dans un premier temps mais qui symbolise à mon sens une volonté de ne pas mettre de barrières au répertoire de Joulik. Robin nous gratifie d’une captivante interprétation à l’Ebow (archet électronique), accompagnée par les cordes pincées de Claire et le chant magnifique de Mélissa. C’est elle qui ouvre « Ciao Mama » avec son accordéon argentin qui nous transporte plus vers Buenos Aires que Napoli. Ce chant italien s’en sort très bien avec ce métissage mi tango mi romance qui nous fait voyager vers des lieux incertains. La grande force d’Envol est de ne pas reproduire des schémas trop convenus mais plutôt de mélanger les genres et de surprendre l’auditeur. Cela se confirme avec « Là Em Saõ Paulo » et ses rythmes brésiliens qui vont rapidement prendre des accents de coladeira cap-verdienne. Autre prouesse avec « Adouna » où Joulik s’approprie la langue Wolof pour une composition et un texte original. La musique est chaude, vibrante avec des harmonies vocales tournées vers les plaines africaines. Le court instrumental « Interloud » va faire la transition avec le puissant « Chrysalide », lui aussi chanté en langue imaginaire. On retrouve sur ce titre un heureux mariage entre l’esprit ancien des troubadours et la modernité de l’interprétation. Puis le violoncelle de Claire Menguy va sublimer une « Valse Taupienne » où la musique baroque et les constructions cinématographiques vont s’enchaîner habilement. Notre voyage musical se termine avec la belle envolée de « La Serena », un chant traditionnel judéo-espagnol élégamment arrangé par nos trois amis de Joulik.
Envol est un remarquable témoignage musical qui aurait pu (aurait dû) faire partie de ma playlist 2018. Un véritable coup de cœur à retardement, sauvé par cette récente publication en vinyle. C’est un album qui se consomme doucement et ne se révèle vraiment qu’au fil des écoutes. Envol possède aussi cette double qualité d’offrir un enregistrement proche de l’esprit des concerts avec un son et des arrangements de studio. Suivez Joulik et prenez votre envol pour un beau voyage vers de délicieux paysages, vous ne le regretterez pas.