Jonathan Wilson – Dixie Blur
Bella Union
2020
Thierry Folcher
Jonathan Wilson – Dixie Blur
Dans la famille Wilson, je voudrais Jonathan. Un sacré patronyme, vous ne trouvez pas ? Faut dire qu’entre Brian, Dennis, Jackie, Steven, Ray et bien d’autres, il est particulièrement bien porté. Et la plupart de ces gaillards ne font pas dans la facilité, dans le commercial, c’est même plutôt l’inverse. Prenez par exemple Jonathan Wilson et son parcours atypique qui ne ressemble à aucun autre. Un parcours qui malheureusement le condamne à rester dans la contre-allée du business et à ne recevoir les louanges que d’un public averti. Pourtant il possède un potentiel énorme, une panoplie complète pour attirer les foules et charmer les plus coriaces. Ce gars-là est capable d’aborder tous les genres. Une facilité qui lui vient de ses innombrables collaborations aussi diverses que prestigieuses. Des personnalités comme Roger Waters (Jonathan chantait et jouait de la guitare sur son dernier album et faisait partie de sa dernière tournée), Elvis Costello, Bonnie « Prince » Billy, Erykah Badu ou Roy Harper ont croisé sa route. Et puis, je suis sûr qu’en fouillant vous allez le retrouver dans votre propre discothèque. Pour ma part, je l’ai repéré dans l’excellent Vagabonds (2008) de Gary Louris et dans Fear Fun (2012), le premier album du talentueux Josh Tillman (Father John Misty). Alors c’est vrai que cette dispersion et les nombreux passages derrière la console comme producteur, n’ont pas favorisé la linéarité d’une carrière solo. Et pourtant à chaque sortie, la presse et les nombreux fans s’enthousiasment pour son travail. Beaucoup voient en lui le renouveau du rock tout simplement. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, il faut savoir qu’après une courte expérience avec son groupe Muscadine, il va littéralement casser la baraque en nous envoyant l’ovni Gentle Spirit en pleine figure. Un premier effort solo salué comme un des meilleurs albums de l’année 2011 par le célèbre Mojo Magazine. Ensuite Fanfare en 2013 et Rare Birds en 2018 allaient confirmer le potentiel hors norme de monsieur Wilson. Il faut que vous écoutiez Rare Birds, ne serait-ce que pour déguster son penchant psychédélique protéiforme. Un album génial, à des années lumière de sa dernière livraison.
Ce tout nouvel album s’appelle Dixie Blur et se révèle comme un retour aux sources pour ce natif de Caroline du Nord. Dixie (ou dixieland) est un terme populaire qui désigne les états du sud des États-Unis au lourd passé esclavagiste. Le nom viendrait du billet de dix dollar émis en Louisiane au 19ième siècle et marqué de la mention DIX en référence à la présence française dans la région. Pas de doute, c’est bien l’album de ses racines que nous a concocté Jonathan Wilson avec une pochette qui parle d’elle-même. Le lettrage, le dessin et les couleurs nous envoient des infos plus que précises sur les intentions de son auteur. Ce sera de la musique country estampillé Nashville, point final. Et pour se faire, quoi de plus logique que d’avoir recours au gratin de la scène locale. Jon Radford à la batterie, Dennis Crouch et Pat Sansone (Wilco) à la basse, Jim Hoke aux instruments à vent, Russ Pahl à la pedal steel et Mark O’Connor au violon sont quelques exemples de musiciens présents sur l’album et bien connus dans l’univers country du Tennessee. Jonathan va quant à lui assurer beaucoup de séquences musicales et surtout nous charmer avec sa voix si caractéristique. A l’exception de « Just For Love », il a tout écrit et bien sûr tout produit. Alors, plongeons avec ravissement dans ce Dixie Blur franc et direct dans ses intentions avec en plus quelques trouvailles Wilsoniennes plutôt savoureuses. C’est donc le mythique « Just For Love », écrit en 1970 par Dino Valenti pour Quicksilver Messenger Service qui ouvre le bal. La version de Jonathan Wilson est assez proche de l’original mais se démarque inévitablement par un enregistrement XXL et des arrangements innovants. Je ne peux, par exemple, passer à côté de la superbe flûte de Jim Hoke qui envoie un doux parfum du tout jeune King Crimson. Ici la musique country traditionnelle est en arrière plan mais « ’69 Corvette », le titre suivant, va vite lever tout compromis. On est parti pour plus de 4 minutes de tradition, de pedal steel évocateur et surtout de violon (fiddle) magique. Superbe morceau presque chuchoté par un Jonathan Wilson au sommet de sa forme.
Ce gars-là possède un atout incroyable en pouvant réunir toutes sortes de sensibilités grâce à son approche multi-style à la fois maîtrisée et cohérente. « New Home », par exemple, est bien charpenté pour plaire aux plus nombreux. L’ambiance country ne fait aucun doute, mais la petite touche progressive surprend et le traitement vocal de la fin change complètement la donne en nous envoyant vers les plus belles réunions chorales d’autrefois. Vraiment surprenant et surtout fort agréable à nos oreilles exigeantes. Russ Pahl fait des merveilles en réinventant la pedal steel sur une superbe mélodie inattendue. La découverte de l’album nous amène maintenant vers « So Alive » qui accélère le mouvement et fait la part belle au violon virevoltant de Mark O’Connor et à la guitare acoustique de Pat Sansone. Un morceau tout simple qui a le mérite de nous faire battre la semelle après un début plutôt calme. Puis « In Heaven Making Love » accélère encore la cadence sur ce passage festif formaté pour un square dance échevelé. Dans tous les albums, il y a un titre qui vous marque plus que les autres, un titre qui vaut à lui seul des écoutes répétées, mais qui peut aussi faire de l’ombre au reste du disque. Dixie Blur n’échappe pas à la règle avec le magnifique « Oh Girl » qu’il faut déguster de bout en bout sans que rien ne vienne perturber ces presque cinq minutes de très, très grande classe. Ici tout est parfait : la voix angélique de Jonathan, le piano à la Lennon de Drew Erickson, la partie vocale très Beatles, la guitare fuzz diabolique (JW) et surtout cet harmonica de Jim Hoke que l’on n’attendait pas et qui vous fout par terre sans rémission. « Ah quel pied ! » comme aurait dit Thierry Roland en 98 ! Mais alors, que va devenir « Pirate » qui pointe son nez juste après ? Eh bien, il s’en sort assez bien. L’ambiance n’est pas la même, il y a moins de lyrisme, moins de trouvailles mais le plaisir est bien là et n’affaiblit pas l’ensemble.
Avec « Enemies » on navigue entre Springsteen et les Traveling Wilburys avec un traitement vocal vitaminé et une partition musicale bien (trop?) connue. Rien de nouveau donc et pour moi, un petit coup de mou presque obligé compte tenu du niveau affiché jusque-là. Mais « Fun For The Masses » va remettre les pendules à l’heure. Les plaintes de la pedal steel sont à nouveau à l’honneur et Jonathan a repris son timbre de voix habituel. A ce stade, l’album est déjà une réussite et la marche supplémentaire va dépendre de ce qui va suivre. Ça commence très fort avec « Platform », autre petite perle qui nous envoie des effluves d’« Everybody’s Talkin’ » de Harry Nilsson. L’harmonica puis la flûte de Jim Hoke sont de retour pour notre plus grand plaisir sur ce joli moment très folk plein de souvenirs lointains. Dans la foulée « Riding The Blinds » se distingue par un orgue lointain (JW) joué sur un tempo lent vite troublé par un bon coup d’adrénaline qui va bousculer l’allure plan-plan du morceau. C’est tout ce que j’aime chez Jonathan Wilson, cette capacité à ne pas rester dans ses pantoufles et surprendre à chaque fois l’auditeur. Après le léger et dispensable « El Camino Real », « Golden Apples » rejoint les plus belles plages du disque. Peut-être parce que ce foutu harmonica nous fait encore chavirer et que la rythmique façon petite valse envoie de belles vibrations. « Golden Apple » sur le podium avec « Platform » et surtout « Oh Girl », c’est mon choix qui pourra trouver bien sûr d’autres variantes tellement Dixie Blur est riche. Enfin, « Korean Tea » termine doucement ce bien bel ouvrage qui va, c’est sûr, rester dans les annales.
Avec Dixie Blur, Jonathan Wilson nous a pondu un autre chef-d’œuvre, même s’il est moins aventureux que Rare Birds. Cela dit, le parti pris country traditionnel ne l’a pas empêché d’injecter par-ci par-là quelques idées savoureuses qui font de cet album un objet complètement à part. Le grand mérite de Dixie Blur est de proposer une autre vision d’un genre musical assez cloisonné. Jonathan Wilson a le talent et les idées nécessaires pour se situer dans la catégorie des artistes à surveiller de très près. Ce n’est pas Dixie Blur qui va le propulser au sommet de la reconnaissance mais son cercle d’admirateurs s’élargit sans cesse et ne demande pas autre chose que de l’accompagner dans ses belles aventures musicales.
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