Jean-Louis Murat & The Delano Orchestra – Babel

Babel
Jean-Louis Murat & The Delano Orchestra
Pias
2014

Murat Babel

Depuis la mort du regretté Alain Bashung en (déjà !) 2009, l’amateur exigeant de rock francophone ne savait plus véritablement à quels sons se vouer. Même si les bons auteurs-compositeurs-interprètes semblent légion, il ne s’avère hélas pas si aisé de retrouver un esprit « rock » anglo-saxon dans le landerneau musical français, volontiers tourné vers une variété de mauvais aloi. Des textes bien léchés ne suffisent pas. Une certaine recherche sonore, une unité de style et la création d’un univers esthétique propre font figure de Graal pour le mélomane avisé. Ainsi, « Fantaisie Militaire » (1998), de l’artiste cité en incipit, fait malgré tout toujours office d’exception magique, de moment de grâce ponctuel dans l’industrie musicale hexagonale actuelle. On savait Jean-Louis Murat imprégné de culture américaine, la bonne, pas celle d’Hollywood ni du rock FM écoeurant. On savait aussi Murat admirateur devant l’éternel du grand Neil Young, des coins cachés et des vies égratignées.

Ce qu’on sentait depuis des années s’est enfin pleinement concrétisé avec ce sommet qu’est « Babel »”. Double album, double millésime, riche mais léger, profond et aérien. Le constat semble encore plus clair qu’avec le (faussement) doux « Toboggan », paru l’an passé. La cohérence « conceptuelle » de cet écrin mélodique n’a d’égal que le soin apporté au son, d’une précision et d’une simplicité qui forcent l’étonnement en ces périodes de productions compressées, gonflées et numérisées. (Ecoutez le son de basse du titre « Col De Diane » qu’on croirait « samplé » du « Harvest » de Neil Young.)

Murat Band

Le poète auvergnat, secondé par les excellents musiciens américanophiles du Delano Orchestra, se borne ainsi à conter les histoires de son pays, les petits et grands moments qui font (et défont) une vie, celle d’un terrien bien dans ses bottes qu’on pourrait qualifier de sept lieues tant l’écart entre chez lui et l’ailleurs s’atténue au fil des titres. En effet, avec un disque d’une telle vigueur, l’artisan appliqué parvient à lier le quotidien à l’atemporel, les alentours avec l’universel. Et c’est là que Murat est grand : à l’instar du travail de l’écrivain « provençal » Jean Giono, les propos visent une portée universelle, même si profondément ancrés dans un terroir-territoire circonscrit. Ce faisant, le microcosme devient macrocosme, au grand étonnement de l’auditeur qui se demande comment tel tour de passe-passe semble possible. Saint-Babel, petit village du centre de la France, devient ainsi Babel, à la portée universelle consacrée.

Pour dissiper les derniers doutes, sachez que les influences, s’il y en a, sont digérées et forment un nouveau terreau fertile duquel poussent ces fleurs sonores (« Les ronces »). « J’ai Fréquenté La Beauté », « Dans La Direction Du Crest » ou encore « Mujade Ribe » atteignent des profondeurs émotionnelles rarement atteintes même si les connaisseurs savent déjà que des groupes comme Talk Talk, Marillion (période Hogarth) ou autres Shearwater savent toucher le point sensible avec une économie de moyens qui laisse souvent pantois. Le titre-fleuve « Le Jour Se Lève Sur Chamablanc » constitue enfin une mise en abîme malicieuse du projet dans son entier puisque l’on y entend égrenée une litanie de maux et de mots d’une étrange banalité.

Après plusieurs écoutes, le mélomane sensible sera surpris de constater le souffle panoramique dégagé par ce texte aux apparences si quotidiennes. Un sommet.

Christophe Gigon (9/10)

http://www.jlmurat.com/

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4 commentaires

  • Lucas Biela

    Belle chronique, même si j’aime le rock FM écoeurant (Heart, Journey, Boston, TOTO ont sorti des albums magistraux).

  • Thierry

    Et par rapports au moujik ou autres, il est comment ?

  • CHFAB

    « Lilith », déjà double album, paru en 2003, au son résolument analogique, très 70s dans l’âme, était déjà un sommet… hélas passé très inaperçu…
    Pourtant, pas une chanson n’était à jeter.
    D’un éclectisme réjouissant, rock, funk, country, mid tempo, très Neal Young dans l’âme, déjà.
    C’est pour moi son meilleur, jusqu’à peut être celui-ci du coup?

  • Fred Natuzzi

    Murat est vraiment une découverte pour moi ! Babel est excellent, tout comme Lilith ou encore Toboggan. Bref, un artiste dont j’aime à explorer le travail.

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