Jay-Jay Johanson – Fetish
ART/29 Music
2023
Thierry Folcher
Jay-Jay Johanson – Fetish
En découvrant cette nouvelle chronique, certains ne vont pas manquer de dire : « mais il ne va pas encore nous gonfler avec les roucoulades du père Jay-Jay ! ». Pour tout vous dire, mon intention première était de garder ce Fetish pour moi et rien que pour moi. Et puis, bon sang de bonsoir, je n’ai pas pu résister au besoin de le partager tellement il rayonne de beauté et de douces vibrations bienfaitrices. Il y a des moments dans la vie où la mise sur pause devient presque obligatoire, comme un dernier recours salvateur. Alors, quoi de mieux pour se vider l’esprit qu’un environnement musical à la fois rassurant et plein de charme. Il n’y a pas de remède miracle mais la musique de Jay-Jay Johanson possède des atouts capables de venir s’installer là où ça fait du bien. C’est donc en réponse à notre quotidien, parfois un peu tendu, que je me permets de vous offrir cette médecine alternative qui pourrait vite devenir habituelle, pour ne pas dire addictive. Déjà, ce quatorzième album est très musical et si on me le demandait, ce serait le premier terme que j’associerais à Fetish et à sa façon de prolonger les notes, bien au-delà du nécessaire. Une petite révolution en fait, avec le sentiment que notre ami suédois a voulu en terminer avec ses introspections habituelles pour se lâcher un petit peu et retrouver ses anciennes explorations soniques. Prenez par exemple « Jeopardize », un titre qui aurait très bien pu s’arrêter bien avant la fin des huit longues minutes qu’il affiche au compteur. Presque à la moitié du chemin, une fois le discours achevé, ce sont des boucles répétitives qui vont durablement combler l’espace et le temps. Alors, était-ce bien nécessaire puisque l’essentiel avait été dit ? Eh bien oui, je comprends que c’était utile ! Après des paroles très touchantes sur l’amitié et la séparation, ces quelques minutes musicales supplémentaires sont vraiment bienvenues pour méditer sur le sujet.
Maintenant, la question est de savoir s’il faut vivre ou non dans la conformité. Le côté aventureux est souvent présent dans nos colonnes et la pop jazzy de JJJ y trouve tout naturellement sa place. Ce mélange d’électro, de boîtes à rythmes, de trip-hop, de jazz, de musiques classiques et de chansons pop n’est pas vraiment commun et donne un résultat hybride capable d’attirer toutes sortes de sensibilités et de profils différents. Mis à part quelques adeptes de genres extrêmes (et encore), chacun de nous pourra récupérer des éléments accrocheurs dans ce Fetish aux nombreux atouts et bien mis en scène. Le jazz tout d’abord, omniprésent et assumé avec une solide rythmique où la basse de Palle Sollinger et la batterie de Magnus Frykberg rayonnent de justesse et de talent. Sur « Seine » par exemple, c’est elle qui mène la danse dans une ambiance volontairement surannée où Jay-Jay martèle que son cœur de pierre va finir au fond de la Seine. Bien sûr, ces paroles sont à prendre ou à laisser mais pour moi ce ne sont que des mots qui donnent l’occasion de découvrir un timbre soyeux à la limite de la rupture. Ce premier morceau nous présente également le piano d’Erik Jansson, le vibraphone de Mattias Ståhl et les backings de Sadie Percell, toute la panoplie d’une formation jazz qui étonne sur la fin et s’efface carrément pour la revisite classique (une de plus) de la symphonie n°3 de Brahms. Un démarrage très prometteur que les amateurs du crooner vont apprécier, cela ne fait aucun doute. Et puis, le jazz toujours avec « Puppet On A String » et sa structure bien rodée, agrémentée çà et là de performances musicales plutôt modernes et bienvenues. Globalement, l’ensemble de l’album s’écoute avec attention et beaucoup de plaisir passant des rythmes colorés de « I Did My Best » aux langoureuses nappes de « Jeopardize » sans problème.
Ensuite, j’aimerais revenir sur « Finaly », le second titre du disque qui reprend la célèbre mélodie de Brahms pour illustrer une évocation poétique des lendemains de fêtes. Cette fois, les mots sont forts et parlent à tous ceux qui ont vécu ce genre d’expérience et qui ont pris conscience de la réelle valeur des choses. Une belle communion pleine de tendresse entre deux personnages qui se retrouvent et s’accordent sur les éléments essentiels de la vie. Sur ce disque, l’intimité a forcément sa place et libère une facette chère à Jay-Jay Johanson. Une impression qui rejaillit même lorsque la partition devient instrumentale (« Andy Warhol’s Flesh For Frankenstein ») et qu’il n’est pas nécessaire de faire de longs discours. Ici, on revit le même topo que sur le précédant Rorschach Test et son « Andy Warhol’s Blood For Dracula », aussi peu bavard. JJJ récite ses démons mais toujours sur un air feutré et de façon câline. Sa voix est un vrai régal et se démarque de la plupart des autres adeptes du genre avec sa façon toute particulière de décortiquer les mots pour les rendre encore plus pénétrants (« I Did My Best »). La richesse de l’instrumentation et des arrangements se transforme souvent en parfait emballage de chansons aux discours un peu simplistes mais tristement actuels (« Labyrinth »). C’est le cas aussi du superbe « The Stars Align » où la musique, portée par toute une gamme d’effets électro, fabrique le parfait étendard d’un album qui devient carrément addictif au fil des écoutes (le remix de cette chanson est une pure merveille). Le côté souterrain et hors d’atteinte vire à la communion affective comme sur l’étrange « Summer Night Of Love » et ses belles notes de vibraphones sur la fin. Le monde s’arrête, la vie est comme suspendue et même « Happy Birthday » qui termine l’ouvrage ne pourra envoyer les habituelles images festives. Pour nous tous, c’est plutôt l’heure de la réflexion et la constatation que Fetish n’est pas un album ordinaire. Il faut le voir comme un outil capable de sortir l’âme du corps et de changer notre perception du quotidien. Ni plus, ni moins.
Nous sommes en 2023 et fidèle à son habitude, Jay-Jay Johanson n’a pas manqué son rendez-vous impair. Fetish ne sort pas des clous mais semble prendre des chemins plus innovants par moments. Mélancolie, sagesse et intimité trouvent ici un habillage électro/pop/jazz de toute beauté et même si une certaine préciosité transpire quelques fois, il serait bien dommage de bouder cet artiste bourré de talent et pourvoyeur d’ondes bienfaitrices. Maintenant, c’est à vous de voir.
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