Jari Pitkänen – Planeetta Avaruudessa

Planeetta Avaruudessa
Jari Pitkänen
Autoproduction
2017

Jari Pitkänen – Planeetta Avaruudessa

Jari Pitkänen Planeetta Avaruudessa

Jari Pitkänen a déjà fait l’objet d’une chronique dans nos pages, avec son album Unien qui a sans doute fait pleurer (de joie…) les fans de musique planante expérimentale des seventies, ceux qui, dans le genre « paysages électroniques », n’avaient pas grand-chose à se mettre sur la platine. On pense à Phaedra et aux longues plages atmosphériques de Zeit et Atem de Tangerine Dream. Mais ce versant pure ambient a trop vite été abandonné, dès que les contraintes des ventes et le séquenceur sont venus remettre les pendules à l’heure dans la Berlin School et toute la musique électronique.

Après les paysages polaires de Unien, Jari Pitkänen nous offre une autre carte postale venue de loin, y compris dans le temps, avec une dizaine d’années de maturation de ce nouveau projet. Cette fois on s’éloigne des glaces et des field recordings brumeux et enneigés pour aborder une autre branche, une autre approche, celle d’un ambient purement analogique. Plus radical encore, l’album est entièrement composé à partir du synthé Oberheim Matrix-12, un des modèles les plus puissants de cette classe de claviers sortis vers le milieu des années 80 et combinant le potentiel des plus puissants synthés analogiques avec le MIDI et la modulation de fréquence. Cet « exercice de style » (terme non dévalorisant, juste lié au processus créatif) a donc ce point commun avec le très controversé Beaubourg de Vangelis (1979), à savoir : tirer le maximum d’un instrument puissant mais unique. Avec ici un résultat très différent : ambient, en un mot. Jari a exploré le potentiel du Matrix-12 pour en extraire une œuvre aussi atmosphérique que celle de Vangelis était déroutante et provocatrice. À une époque charnière de sa carrière, ce dernier avait  effectué un pari expérimental extrémiste et sans doute délibéré, une façon de casser son image de compositeur « symphonique » dans lequel on l’attendait ou on l’enfermait un peu trop vite, et, semble-t-il, de régler aussi quelques comptes avec son label. Le titre était lui aussi symptomatique d’une volonté d’innover et de casser les codes, tout comme le fameux édifice parisien qu’il évoquait par ce clin d’œil assumé, très controversé lui aussi à sa sortie de terre.

Jari Pitkänen Planeetta Avaruudessa Band

Sur Planeetta Avaruudessa, Jari Pitkänen ne cherche ni la provocation ni l’effet de surprise, et le concept a priori réducteur du synthétiseur unique est mis au service d’une cohérence globale dans la création d’une l’atmosphère, et non pas d’un catalogue de sons (même s’il a sans doute dû s’y coller, et faire le tour des patches et du potentiel de sa machine, afin d’en maîtriser toutes les possibilités). Tout l’opposé, en somme, des premiers albums de Jarre qui, sans jugement qualitatif à nouveau, semblent parfois un véritable catalogue audio des sonorités et possibilités expressives des instruments vintage issus de sa vaste collection. Ici, Jari obtient (presque !) la même palette sonore large et variée sur le seul Oberheim Matrix-12, et le concept est réussi, par la variété des résultats obtenus. Certes, cela sonne très organique et seventies mais c’est normal, c’est la signature typique des instruments à synthèse soustractive avec leurs effets et gimmicks classiques, sweeps et bubbles, discrets, mis ici au service de l’œuvre et bien moins appuyés et systématiques que ce que faisait le Schulze des seventies avec son mur de Moog. D’ailleurs, que l’on sache, Schulze n’a jamais produit de musique atmosphérique ambient à proprement parler, préférant les long solos mélodiques improvisés sur une ligne de séquenceur plus ou moins répétitive.

Loin de la Berlin School rythmique et séquencée des années 70, Planeetta Avaruudessa est plus proche d’Aqua, premier album solo du regretté Edgar Froese, ou du long drone Wintermusic de Richard Pinhas sur l’album Iceland (le plus « audible » des albums de Pinhas car le plus ambient, très peu cacophonique ou bruitiste). La spécificité de l’usage de patches analogiques pour la création de textures sonores leur donne un grain particulier qui n’a rien à voir avec les musiques atmosphériques actuelles, 100 % numériques et générées à partir de samples (par exemple les opus atmosphériques du courant dark ambient). Ici, tout comme sur le génial Aqua de Froese, pas de mélodies ni de rythmes (hormis quelques pulsations discrètes) mais des textures étirées parfois très proches du drone, que l’on pourrait qualifier de naturelles ou en tout cas, descriptives de paysages imaginaires.

Jari Pitkänen Planeetta Avaruudessa Oberheim Matrix-12

De fait, le titre de l’œuvre, « Une planète dans l’espace », est on ne peut plus explicite sur ce concept descriptif de paysages qui fut en vogue dans la musique dite « cosmique ». Il s’agit donc d’un nouveau clin d’œil à cette époque révolue où les nappes et autres effets surprenants et innovants, pour l’époque, issus des synthétiseurs analogiques évoquaient immanquablement l’espace et ses profondeurs, le chant des planètes, pour ne pas dire la « Musique des sphères » et la peinture de territoires inexplorés.

Comme Unien, l’album est structuré avec une suite de titres courts, qui sont ensuite repris dans une version « continuous mix » d’environ 45 minutes. Cette formule mixte permet à l’auditeur de permuter l’ordre des morceaux s’il opte pour un mode d’écoute step by step ou, s’il le souhaite, de signer pour le voyage au long cours.

Tous les fans d’un ambient à l’ancienne comme le Tangerine Dream « première période », celui d’avant le séquenceur, doivent se ruer sans délai sur cette perle qui nous ramène des profondeurs lointaines un ambient atmosphérique dont on avait un peu perdu le fil, mais pas le goût ! Notre ami Philippe aurait adoré. Ou, plus précisément, il adore sûrement, depuis la planète inconnue et lointaine où il vit désormais.

Jean-Michel Calvez

https://jaripitkanen.bandcamp.com/

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